25 octobre 2014
Le théâtre expérimental a ceci de particulier qu’il oblige le spectateur à se creuser les méninges pour saisir les véritables enjeux de la pièce dont il est le témoin participatif. Par les temps qui courent, où l’opinion généralisée est devenue la marque déposée, affichant sa médiocrité intellectuelle, il est rafraîchissant et encourageant de constater que certains auteurs (tous arts confondus) non seulement risquent le tout pour le tout, mais s’évertuent à disséminer des voies autres pour une meilleure compréhension de l’art et du monde.
L’Australien Daniel Keene et de ceux-là. Plus célèbre en Europe, particulièrement en France (Avignon, Paris… ), on lui doit des écrits parmi lesquels Terminus (2002), The Architect’s Walk, (2002), Paradise (2004), To Whom it May Concern (2005) et The Nightwatchman (2006). En 2004, la mise en scène de Rocher, Papier, Ciseaux (Scissors, Paper, Rock), signée Denis Lavalou, n’était pas passé inaperçue à l’Espace Libre.
De ses personnages, Keene rappelle qu’effectivement «… ils nont pas la parole facile. Ils veulent faire entrer une infinie douleur dans un dé à coudre… ». C’est en tout cas ce qui ressort de la pièce Les Paroles (Words), dont la traduction de Séverine Magois renferme la quintessence métaphysique des mots, leur influence sur notre comportement, leur rapport moral au monde.
Il s’agit du portrait d’un couple en quête de direction et de signification. Lui, Paul, annonçant la parole de Dieu de ville en ville ; elle, Hèlène, sa femme, qui l’accompagne dans ses pérégrinations théologiques. Ce Dieu les habite, et pourtant les ignore. Et c’est justement de cette lacune de l’âme dont il est question dans la pièce de Keene.
Un décor nu, sorte de terreau infertile dont le sable trace des voies qui mènent partout ailleurs et nulle part. Un chemin de la vie qui donne l’occasion aux deux seuls personnages sur scène de communiquer leur angoisse de vivre, d’afficher leur désarroi, d’illustrer par des gestes chorégraphiés la lourdeur d’être, la force de s’appuyer sur quelque chose de pratiquement insoutenable.
Et soudain, magie de la mise en scène, un chemin de croix se bâtit sur une lumière jaune qui sort du sol, signifiant à la fois l’œuvre de foi de Paul et son parcours initiatique. Les éclairages d’Erwwan Bernard prennent ici une signification biblioue, comme si les Dieux (ou simplement Dieu) jetait sa lumière divine sur ses enfants. Et que dire ces costumes de Shlomit Gopher et Sarah Lachance, des parures de missionnaires d’un autre temps, imposant une proposition quasi intemporelle.
Pièce sans temps, excessivement intellectuelle, poussant le geste jusqu’à l’extrême, sommant le spectateur de se débarrasser de son apathie, Les Paroles hurle le vide intérieur, la quête de l’inspiration spirituelle et surtout et avant tout, participe à un discours sur le sens de la vie.
Sur ce point, Marc Béland et Rachel Gratton parcourent leur sinueux chemin de croix avec une virtuosité physique exceptionnelle.
[ ESSAI EXPÉRIMENTAL ]
Auteur : Daniel Keene – Traduction : Séverine Magois (Les Éditions Théâtrales) – Mise en scène : Alix Dufresne – Scénographie : Max-Otto Fauteux – Costumes : Shlomit Gopher, Sarah Lachance – Conception sonore : Gonzalo Soldi – Éclairages : Erwann Bernard – Comédiens : Marc Béland (Paul), Rachel Graton (Hélène) – Production : Les Productions J’le dis là | Durée : environ 1 h (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 1er novembre 2014 – Prospero (Salle principale).
MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Passable) ★ (Mauvais) 1/2 (Entre-cotes),
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