19 mars 2015
Il y a tout d’abord un texte, celui du Russe Ivan Viripaev. Des mots, des paroles, des doubles sens, des contresens, des raisons, des excuses qu’on s’invente pour ne pas rester seul. Le texte dont il est question dans Illusions parle de notre existence, d’une vie passée l’un proche de l’autre. De cinq décennies d’amours aussi sincères que falsifiées, de mirages imprécis, de faux pas inavoués. Et c’est à la fin d’une vie, lorsqu’on en fait le bilan, lorsqu’on a tout à perdre et rien à gagner, que le propre de l’homme, cette faculté de penser, devient important, essentiel même pour partir en paix.
La traduction française de Tanai Moguilevskaia et Gilles Morel résonne dans notre conscient tout le long de ce voyage à travers les contours de deux relations amoureuses. Mais se sont-ils vraiment aimés ou, au contraire, ont-ils fait semblant. Ils sont quatre, mais n’ont pas de nom. On les reconnaît comme le Premier Homme, la Première Femme, le Deuxième Homme, la Deuxième Femme, comme si l’auteur avait voulu les situer dans un no man’s land originel, les dénudant de leurs vraies émotions, de leur capacité à aimer ou pas. Car tout ici, aussi vrai que faux.
Se présentant comme un essai poétique sur une des facettes de la condition humaine, du moins en ce qui a trait à la civilisation occidentale, Illusions provoque le spectateur en s’adressant directement à lui. Le décor s’impose avant que le spectacle commence : une scène nue, formée de trois murs et un plancher (peints) en bleus. Et puis, une première entrée en scène, cellle de la Première Femme, racontant l’histoire du premier couple, reprenant ainsi les paradigmes de la tradition orale, dire la vérité ou pas, inventer ou être franc, cacher ou dévoiler.
Mais ce que Viripaev semble dire, c’est que tout est dans la méthode, dans la facilité de l’orateur à convaincre. Ici, il sont quatre. Chacun son tour, les vies de ces quatres personnages s’imbriquent les unes aux autres pour donner comme résultat le caractère éternellement ambigu de l’expérience humaine.
Et puis une mise en scène, celle de Florent Siaud, minimaliste, dénudée, débarrassée de toute contraintes qui aurait pu saccager le texte. Mais le jeune metteur en scène est peut-être bien un peu trop épris du texte. Vers le milieu de la pièce on éprouve un lassement passager face à tant de paroles émises. Mais les mots reprennent vite leurs droits tant ils sont tributaires de tant de vérités et de mensonges.
Autant Paul Ahmarani qu’Evelyne de la Chenelière, ou encore Marie-Eve Pelletier et David Boutin, le quatuor reste convaincu que les réparties forment le discours attachant et vulnérable de quatre vies. Les comédiens sont impeccables, présents, et les rapports de l’un à l’autre d’une magnétique résonnance. Une œuvre essentielle du théâtre indépendant.
Auteur : Ivan Viripaev – Traduction : Tania Moguilevskaia, Gilles Morel – Mise en scène : Florent Siaud – Scénographie / Costumes : Romain Fabre – Éclairages :Nicolas Descôteaux – Vidéo : David B. Ricard – Comédiens (par ordre alphabétique) : Paul Ahmarani (Premier Homme), David Boutin (Deuxième Homme), Evelyne de la Chenelière (Première femme), Marie-Eve Pelletier (Deuxième Femme) – Productions : La Veillée| Durée : 1 h 50 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 11 avril 2015 – Théâtre Prospero.
MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel). ★★★★ (Très Bon). ★★★ (Bon). ★★ (Moyen). ★ (Mauvais). ½ (Entre-deux-cotes)
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