21 mai 2015
Portrait du grand couturier Yves Saint Laurent, de la fin des années 1960 aux années 1970, son époque la plus mouvementée tant sur le plan intime que professionnel.
À peine quelques mois après le prêt-à-filmer aseptisé Yves Saint Laurent de Jalil Lespert, Bertrand Bonello débarque avec Saint Laurent, (anti)biopic haut de gamme non autorisé, enivrant comme un parfum d’opium et enfiévré comme un chant d’amour et de mort.
Danse suave parée d’étoffes somptueuses, Saint Laurent se focalise sur une seule partie de la vie d’YSL : la décennie 1967-1976, la plus prospère et la plus obscure, la plus iconique et la plus sordide, celle que tout le monde connaît, celle où sa vie professionnelle est à son plus haut sommet et sa vie personnelle en pleine chute vertigineuse, celle où il a ouvert ses boutiques, posé nu et conçu la robe Mondrian.
Déchiré entre sa passion raisonnée pour son compagnon mécène Pierre Bergé (relayé ici au rang de businessman tyrannique) et son idylle dévorante pour le dandy Belle Époque Jacques de Bascher (Louis Garrel en gigolo toxico vénéneux dont le regard pervers vampirise l’écran), YSL (se) fuit et (s’) oublie en vivant dans l’isolement afin d’échapper à un monde où il est partout. Séduit autant par le besoin de s’étourdir (sexe, drogue, alcool) que par celui de créer, il s’évapore et s’absente de plus en plus (y compris de lui-même) jusqu’au paroxysme en errant dans les coulisses de son propre défilé – sublime – de 1976 où tout, ou presque, a été exécuté sans lui.
Monstre d’égoïsme accro aux pilules mais surtout à lui-même, créateur acharné bouillonnant aux prises avec ses démons mais aussi ceux de son époque, jouisseur torturé rongé par la mélancolie, YSL apparaît avant tout comme un homme pétri de paradoxes, archétype d’une bourgeoisie décadente avide d’expériences toujours plus extrêmes. Car au raffinement de sa personne et de ses œuvres répond quelque chose de sale et de trivial, opérant un va-et-vient constant entre le contrôle et la perte, la grâce et l’animalité, la créativité et la morbidité.
Et tout le film est construit sur cette dichotomie, entre l’intimité tourmentée et l’image publique, l’euphorie et la décadence, la douceur de l’amitié et la solitude abyssale, l’adrénaline de la création et la froideur des négociations économiques. La lumière (les couleurs, les défilés, les fêtes) et l’obscurité (l’enfoncement, la dépression, la dépendance) se conjuguent ainsi dans une partition étourdissante de laquelle s’échappe une profonde désillusion de même que la beauté de l’instant.
Texte complet : Séquences (nº 294, p. 16-17)
Genre : Drame biographique – Origine : France / Belgique – Année : 2014 – Durée : 2 h 30 – Réal. : Bertrand Bonello – Int. : Gaspard Ulliel, Jérémie Renier, Louis Garrel, Léa Seydoux, Amira Casar, Helmut Berger – Dist. / Contact : Métropole
Horaires : Beaubien – Cineplex – Excentris
CLASSIFICATION
Interdit aux moins de 13 ans
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ (Entre-deux-cotes) – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
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