4 janvier 2017
RÉSUMÉ SUCCINCT
À une époque où le christianisme est interdit au Japon, deux missionnaires y effectuent un voyage pour retrouver leur conseiller spirituel, disparu depuis quelque temps.
En 1988, à 46 ans, âge idéal pour un réalisateur, Martin Scorsese signait un brûlot, l’adaptation par Paul Schrader du scandaleux et controversé roman du grec Nikos Kazantzakis The Last Tempation of Christ / La dernière tentation du Christ (O televtéos pirasmós – littéralement « La dernière tentation ». En 2016, toujours aussi énergique à 76 ans, il cosigne, avec Jay Cocks (entre autres, Gangs of New York / Les gangs de New York, en 2002) le scénario de Silence, adapté du roman Chinmoku du japonais Shûsaku Endō. Voilà pour la petite histoire.
Si dans The Last Temptation of Christ, fidèle au roman, le cinéaste proposait une profonde réflexion sur le combat du Christ entre la foi et la tentation de la chair, n’hésitant pas à outrepasser, aux yeux de certains, les limites de la provocation, force est souligner que le caractère rebelle de l’entreprise montrait celui qu’une très grande partie des humains considère comme « Le fils de Dieu » dans son apothéose physique la plus majestueusement mortelle, n’hésitant pas en passant de faire de la pécheresse Marie-Madeleine une sorte de concubine qui atteint malgré tous les obstacles qui l’entoure, le salut de l’âme.
Ving-six ans plus tard, à travers le récit d’un Père-missionnaire portugais accompagné d’un collègue, partis tous les deux au Japon à la recherche de leur mentor, disparu, Martin Scorsese ouvre les voies généreuses à l’éclatant et éternel discours de la psyché humaine. La foi, le péché, l’intégrité morale, la responsabilité envers l’autre, les choix personnels, autant de questionnements qui s’affrontent à une autre culture qui n’a rien à voir avec la foi prêchée.
Ici, c’est bel et bien le catholicisme, religion chrétienne, jusqu’à nos jours, farouchement prédicatrice qui est remise en question. Faisant office de bonne foi, le réalisateur brouille intentionnellement les pistes, marquant de fer rouge le dialogue de sourds entre la validité de la « bonne nouvelle » et les réalités, particulièrement en ce qui concerne la religion, d’une autre composante sociale et géographique, et en connaissance de cause, située à l’autre bout du monde.
Le titre, Silence, n’est pas un mot choisi au hasard, mais il signifie le mutisme de Dieu (évoquant symboliquement le dernier cri du coeur de Jésus sur la croix, prononcé en araméen « Elï Elï lama sabachtani ? / Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Et resté sans réponse.
Ici, le missionnaire est un homme comme tous les mortels même si son choix est de vivre dans la spiritualité, loin des affaires de l’Homme. Lorsque le Père Rodrigues (excellent et bouleversant Andrew Garfield) se regarde dans l’eau d’un petit lac, l’effet miroir transparaît comme une sorte de révélation divine que seul Scorsese peut concocter. Car Silence est aussi un film de cinéma : cadrages extraordinaires qui renvoient à un certain cinéma intimiste du grand Ingmar Bergman, voire même Carl Theodore Dreyer pour les moments silencieux où la dévotion et le mysticisme l’emporte sur la matière ; mais c’est aussi un rappel de son propre cinéma, particulièrement en ce qui a trait à The Last Temptation of Christ, œuvre beaucoup plus rebelle, préoccupée par des interrogations bien légitimes sur la foi.
Ici, force est de souligner qu’on assiste à une sorte de mea culpa de la part d’un cinéaste qui semble convaincu avoir péché tout au cours de sa carrière en réalisant des films souvent violents et montrant une humanité en perdition et viscéralement corrompue (Mean Streets / Les rues chaudes, Goodfellas / Les affranchis et autres Casino et Wolf of Wall Street / Le loup de Wall Street). Lui, qui à l’origine, se destinait à une carrière dans la prêtrise, n’était-il pas temps, aujourd’hui, de se confesser ? C’est aussi de cela qu’il s’agit dans Silence, film d’une beauté plastique subliminale, hommage au cinéma, mais également ode à une spiritualité débarrassée de la servitude humaine et de ses innombrables agressions.
Quelques petites réserves attirent néanmoins notre attention : l’accent anglais approximatif de certains personnages japonais, difficiles à comprendre, le peu de sous-titres et particulièrement, le jeu parfois caricatural de certains protagonistes nippons. La voix (en anglais) de l’Inquisiteur Inoue (jouissivement parodique Issei Ogata) évoque celle de Jerry Lewis dans certains de ses films des années 50 et 60. En plus d’une propension du cinéaste à reprendre certains éléments [inutiles] de la Passion : entre autres, la trahison de Judas, le chemin de croix, multiples questionnements.
Mais c’est sans doute le grain de sel que Scorsese a voulu apporter à ce film intime, personnel, réfléchi, grave, essentiel par les temps qui courent, un exutoire à la colère contre une société occidentale qui, en délaissant la foi (et pas nécessairement d’un point de vue religieux), a également dilapidé ses fragiles repères.
Le dernier plan, d’une puissance dramatique hors du commun, fait chavirer notre cœur et ouvre ainsi le possible équilibre vers une réconciliation entre la matière et l’esprit, quelles que soient nos croyances respectives.
Genre : DRAME HISTORIQUE– Origine : États-Unis / Italie / Mexique / Japon – Année : 2016 – Durée : 2 h 41 – Réal. : Martin Scorsese – Int. : Andrew Garfield, Adam Driver, Liam Neeson, Ciarán Hinds, Shinya Tsukamoto, Tadanohu Asano – Dist./Contact : Paramount.
Horaires : @ Cineplex
CLASSEMENT
Interdit aux moins de 13 ans
(Violence)
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.