4 mai 2017
Il y a, dans A Quiet Passion, quelque chose de poétiquement démoniaque, un trait de caractère qui transparaît dans le personnage énigmatique d’Emily Dickinson, femme victime d’un autre siècle. Elle est libre, indépendante, intransigeante, cultivée, errant dans un monde clos où fausses vertus et dogme religieux sont à l’ordre des choses.
Et Terence Davies, cinéaste rare, la filme comme dans un tableau de maître, soucieux du cadrage, des plans, des éclairages qui pourraient imiter le pinceau du peintre. Il se permet également, malgré le trop sérieux de sa proposition, des moments d’humour enchanteurs. Particulièrement, lorsqu’il filme les femmes, les jeunes. Contrairement aux hommes, aux visagex d’une couleur périssable, ne cédant pas aux tentations, sauf quand leurs besoins biologiques l’exigent (comme cette scène d’adultère, soyons honnêtes, plutôt maladroite). Le sens de la culpabilité, imposé par une observation méticuleuse de la religion, est un des thèmes abordés depuis le début de la carrière de Davies.
Qu’il s’agisse de Children (1976), Madonna and Child (1980), Death and Transfiguration (1983) ou les trois mis ensemble dans The Terence Davies Trilogy (1983), ces films, à la limite de l’expérimental, sont de véritables essais filmiques sur l’apport de Dieu dans nos vies. Il couvre aussi dans ces films son regard sur une homosexualité qui tente de survivre malgré les interdits. Mais le cinéaste britannique est subtile, ne tourne que quand il sent le besoin – À peine huit longs métrages en 41 ans de carrière.
Si le biopic traditionnel est évité, c’est pour mieux intensifier le moment, pour rendre les personnages aussi fictionnels que vrais. Il y a, chez Terence Davies, une manière propre à dépoussiérer le vieux, à rendre certaines situations banales sublimes, majestueuses. D’où un film qui évoque indéniablement une partie de l’œuvre de Visconti : son style, sa caméra aussi luxuriante que raffinée. Si le cinéaste italien se rapproche de l’opéra, autre art de la représentation qu’il vénère, le britannique, quant à lui, s’approprie le texte littéraire, qu’il existe ou pas, pour le transcender. Car, c’est bien le cas, A Quiet Passion est un livre d’images en mouvement serein, calme, même lorsque l’orage se déclare ches les personnages. C’est aussi dû à la remarquable direction photo de Florian Hoffmeister, venu de la télé et, entre autres, The Deep Blue Sea (2011), ainsi qu’au montage de Pia Di Ciaula, Belle (1976), d’Amma Asante.
Terence Davies montre souvent que le verbe ne s’accapare du temps. Ce rapport à la temporalité permet à l’œuvre de respirer, de reprendre son souffle. Nous avons convoqué Visconti, mais il n’est pas exclu, surtout de A Quiet Passion, que Carl Theodre Dreyer soit aussi évoqué : par ses plans rigoureux, ses angoisses théologique, les états d’âme des personnages.
Et il y a aussi la mort, celle de la mère et celle du père, de vraies perles d’anthologie qui donnent aux silences une authenticité attachante et dramatique. Puisque c’est la vie qui passe, comme elle a commencé. Des courtes scènes qui, dans les mains de Davies, se déploient devant nos yeux sans pitié, nous faisant prendre conscience du passage du temps. Pour Dickinson, créer des mots chaleureux et sensibles avant d’expier par la mort. Et puis, il y a Cynthia Nixon, celle de Sex and the City, transformée ici pour l’occasion. Elle s’accommode magnifiquement bien aux situations telle une muse devant la toile de son maître
Autre texte critique
Séquences
Nº 309 (Juillet-Août 2017)
En kiosque : Juillet 2017
Genre : Drame biographique – Origine : Grande-Bretagne / Belgique – Année : 2016 – Durée : 2 h 05 – Réal. : Terence Davies – Int. : Cynthia Nixon, Jennifer Ehle, Duncan Duff, Keith Carradine, Jodhi May, Joanna Bacon– Dist. : TVA Films.
Horaires
@ Cineplex
Classement
Tout public
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