18 mai 2017
Lors de sa première présentation à La Mostra de Venise en septembre 2016, le nouveau film de Philippe Falardeau, intitulé alors The Bleeder et renommé depuis Chuck, avait divisé la critique. Le réalisateur québécois avait-il commis un film de commande avec ce nouvel opus ? Devant le contraste entre ce biopic sportif américain sur fond de drogue et d’hémoglobine et la filmographie plus paisible de Falardeau, la question était légitime. On est loin du touchant Monsieur Lazhar qui l’a projeté sur la planète cinéma. Le principal intéressé a démenti la rumeur : ce film correspond bel et bien à sa vision cinématographique et jamais il ne travaillerait sur un projet qui ne le rejoint pas. Faisons confiance à ce fier représentant de notre cinéma national et posons un regard attentif sur sa nouvelle œuvre. Il s’agit certes d’un hommage évident au cinéma américain à la Scorsese. Malgré quelques faiblesses, on retrouve la sincérité propre au cinéma du réalisateur originaire de Hull.
Chuck raconte l’histoire vraie de Chuck Wepner, un boxeur poids lourd du New-Jersey, reconnu pour sa forte production d’hémoglobine et sa capacité impressionnante à prendre des coups sur la gueule. Celui que l’on surnommait the bleeder s’est fait connaître dans les années 1970 pour avoir tenu tête durant 15 rounds au légendaire Mohammed Ali. Cet événement a inspiré Sylvester Stallone, créateur de l’ultra célèbre Rocky Balboa. Même s’il ne lui a jamais été clairement attribué, cet honneur montera un peu trop à la tête de Wepner qui se perdra dans cette (dés)illusion.
Avant toute chose, soulignons le travail de mise en scène de Falardeau. Avec un budget d’environ cinq millions, sa réalisation est modeste mais il arrive à la rendre excitante par une esthétique rétro aux forts grains, des costumes extravagants, une trame sonore et une habile insertion d’images d’archives qui contribuent à créer une cohérence fidèle à l’époque. Le réalisateur a fait appel au très talentueux Nicolas Bolduc, à qui l’on doit notamment Rebelle, Enemy et Two Lovers and a Bear, pour la direction photo. Son travail est, comme dans ces films, génial. Sa caméra, souvent à l’épaule, se permet quelques déséquilibres contrôlés. Baignant dans des teintes de beige avec des touches de rouge, elle nous plonge dans l’univers de Chuck et des années 1970 avec charme et brio, sans jamais être trop tape-à-l’œil.
Comme il avait su le faire dans C’est pas moi, je le jure, The Good Lie ou dans Monsieur Lazhar, le cinéaste crée des personnages attachants qui confèrent à l’ensemble une belle humanité. Dans le rôle-titre de Chuck, Liev Schreiber offre une excellente performance prouvant son charisme. Tout en les camouflant derrière son image de tombeur à l’égo démesuré, Schreiber arrive bien à représenter la détresse et le besoin presque maladif d’être admiré du personnage, révélés par son obsession pour le film Rocky et son constant besoin d’en parler.
L’amour de Falardeau pour son personnage est évident. C’est ce qui fait la marque de son cinéma et rend son film si sympathique. Dans ce cas-ci, on serait tenté de dire qu’il l’aime même un peu trop. Car c’est peut-être cette sympathie qui nous prive d’une plongée plus en profondeur dans les zones d’ombre du héros, dans ses vices plus graves ou ses abîmes de détresse. Ses moments plus sombres, souvent abordés, sont toujours désamorcés par la dimension légère et gentille du film. Pas de pathos donc, mais le manque de substance ou de gravité limite l’émotion du spectateur.
Les personnages secondaires impressionnent. Notons la performance d’Elisabeth Moss dans le rôle de la femme de Chuck qui démontre l’étendue de son talent au cours d’une scène dans un dinner où elle découvre l’infidélité de son mari. Naomi Watts, ex-femme dans la vraie vie de Liev Schreiber (le couple était en processus de séparation durant la production du film), est à la hauteur du talent que nous lui connaissons. Pourtant l’histoire d’amour rédemptrice qu’elle partage avec Chuck semble un peu forcée, si rapide que la finale émotive du film n’est pas aussi forte qu’elle aurait pu l’être si cette relation avait été plus approfondie.
Ceci étant dit, ce qu’on retient du nouveau film de Philippe Falardeau est malheureusement son imitation du cinéma de Martin Scorsese. On retrouve des ressemblances très (trop) fortes dans les thématiques (succès, décadence, chute, drogue, mariage qui ne fonctionne pas, adultère, criminalité, passage en prison), mais aussi dans les personnages (le protagoniste charismatique malgré ses vices, un meilleur ami et partenaire de débauche fidèle, son gérant, sa femme, sa nouvelle conquête). Même la manière de raconter l’histoire avec une narration amusante, l’époque des années 1970, la trame-sonore omniprésente et comprenant des succès similaires et enfin la réalisation elle-même empruntent plusieurs techniques du célèbre cinéaste new-yorkais. Pas de doute, Falardeau est un grand fan de Goodfellas et de Raging Bull. Le tout laisse une impression de remâché… de qualité.
Même s’il s’éloigne du film de boxe traditionnel en s’intéressant à l’homme plutôt qu’au sport, le film de Falardeau n’arrive pas à transcender le genre du biopic avec cette seconde œuvre aux États-Unis, comme le Arrival de Denis Villeneuve a su le faire avec le genre de la science-fiction. Amusant, émouvant, Chuck ne transcende rien. S’il est agréable de retrouver l’humour de Falardeau, l’humanité de ses personnages et surtout la délicatesse avec laquelle il les aborde, son film manque d’originalité. Il aurait pu être réalisé par un autre admirateur de Scorsese.
Genre : Drame sportif – Origine : États-Unis – Année : 2016 – Durée : 1 h 38 – Réal. : Philippe Falardeau – Int. : Liev Schreiber, Elizabeth Moss, Jim Gaffigan, Naomi Watts, Ron Perlman, Michael Rapaport – Dist. : Entract Films.
Horaires
@ Cinéma du Parc – Cineplex
Classement
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MISE AUX POINTS
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