4 mai 2017
Seconde Palme d’Or à Cannes, après celle attribuée à The Wind That Shakes the Barley / Le vent se lève (2006), I, Daniel Blake confirme une fois de plus la particularité de l’univers de Ken Loach, le plus social des réalisateurs britanniques. Toujours fidèle à sa trajectoire, ce sont les conséquences que les bouleversements sociaux projettent sur l’individu qui le touchent : chômage, invalidité, syndicalisme, nouvelles technologies, monoparentalité, faim, lutte des classes sociales dévaforisées. Car dans I, Daniel Blake, probablement dû aux effets pervers de la mondialisation, la Grande-Bretagne est aussi victime de toutes ces inégalités où les dérives du système se déshumanisent de plus en plus.
Danie Blake n’est pas un homme de son temps. Il ne sait pas comment utiliser Internet (certains trouveront ce détail un peu trop exagéré). Il se souvient cependant de temps meilleurs où l’individu tenait un certain pouvoir, notamment dans le choix dans la recherche d’emploi. Son conflit intergénérationnel est d’autant plus politique que le propre gouvernement de son pays cède aux pressions d’une société de plus en plus axée sur la technologie.
Il est donc victime d’une agression mondiale qui n’épargne même pas les pays du Tiers-monde ou ceux en voie de développement. Il est évident que I, Daniel Blake est un discours sur le nouveau siècle dans tout ce qu’il propose comme façons de (sur)vivre. La fiction, chez Loach n’est pas pour autant, toujours grave. L’humour est là, mais montré par petites doses, comme s’il s’agissait d’un palliatif aux problèmes quotidiens, temporaire donc, sans solution. Dans un même pays, plusieurs sytèmes, selon à qui on s’adresse, et où les revendications sociales obtiennent des réponses différentes avant de rencontrer la bonne personne qui finira par dire la vérité ou comment s’en tirer.
Mais Loach ne blâme pas les employés du système ; ils sont eux-mêmes victimes d’une impitoyable structure sociale qui, au fond, ne sait ce qu’elle fait. C’est le bordel, la résilience même si on n’y croit pas, le chacun-pour-soi, la fin d’un rêve humanitaire. Sur ce point, la séquence à la « banque alimentaire » est d’une dignité et d’une force d’expression hallucinantes, trop vraie pour ne pas provoquer chez le spectateur indignation et soulèvement.
Plutôt que le mélodramatique, Ken Loach opte pour le réalisme social rude, agressif parfois, toujours alerte de son époque. Socialiste, le cinéaste britannique ne se laisse pas séduire par toutes ces nouvelles approches cinématographiques hors de la réalité du quotidien. Le film rappelle en quelque sorte le néoréalisme italien, un cinéma totalement humain où la classe ouvrière avait droit de cité, avec ses bouleversements d’après-guerre, ses humiliations quotidiennes, ses calculs pour la survie, sa ferveur envers la vie.
Ici, il s’agit d’un néoralisme contemporain qui, en prenant la Grande-Bretagne en exemple, signe avec âpreté, aigreur et notamment sens de l’observation, les glissements progressifs d’un monde qui ne sait plus où il se dirige. La fin, qu’on ne révélera pas, est un cri du cœur, une voix dissidente, une rébellion de l’âme et de la conscience, une parole pour le retour des responsabilités sociales et politiques saines, humanitaires ; un éclat de voix percutant que nous ne pouvons pas simplement nous permettre d’ignorer.
Genre : Drame social – Origine : Grande-Bretagne / France / Belgique – Année : 2016 – Durée : 1 h 41 – Réal. : Ken Loach – Int. : Dave Jones, Hayley Squires, Briana Shann, Dylan McKiernan, Natalie Anne Jamieson, Micky McGregor – Dist. : Métropole Films.
Horaires
@ Cinéma Beaubien – Cinéma du Parc – Cineplex
Classement
Tout public
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
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