18 mai 2017
Albert Serra est un réalisateur de biopics hors du commun. Il ne s’intéresse pas à la vie de ses sujets, mais à leur mort. Opposé à l’approche hollywoodienne qui force de réels événements à se conformer à la structure classique, le réalisateur se base sur les témoignages des contemporains de Louis XIV pour construire le récit. Il porte une attention particulière à l’exactitude de ses scènes. Ainsi, les écrits et la recherche prennent presque toute la place de la scénarisation. Que reste-t-il alors? De la mise en scène, seulement. C’est celle-ci qui donnera, par les choix de la réalisation, le sens au récit. Serra arrive brillamment à rendre actuel ce témoignage authentique de la mort d’un grand.
Incontournable, l’immense Jean-Pierre Léaud littéralement couronné de ce Louis XIV malade et fragile livre une performance naturaliste. Même si ce type de jeu est, aujourd’hui, un réflexe au cinéma, ce choix est, ici, beaucoup plus porteur de sens. En fait, c’est par contrepoids que l’interprétation de Léaud devient intéressant, car tout le reste de sa cour utilise un jeu classique, c’est-à-dire technique, précis, protocolaire. Cette direction d’acteurs témoigne d’une profonde compréhension de l’esthétique du jeu. Léaud devient le personnage exclu, car la maladie lui empêche de maintenir l’étiquette qu’il a lui-même érigée. Cet empire de bonnes manières l’éloigne de la guérison. Il est impossible d’être droit devant la maladie et peut-être se rend-il compte au fond que toute cette monarchie n’est qu’un théâtre d’imposteurs. C’est comme si la maladie, cet événement traumatique, vient remettre en question tout ce que le roi a mis en place.
L’air grave, Louis XIV encourage son petit-fils héritier d’éviter les erreurs de son règne. Il somme l’enfant de fuir les batailles, de rester en paix avec ses voisins et de chérir son peuple. Cette grande remise en question réaffirme l’inévitable esprit critique provoqué par le traumatisme. Tout perd son sens, l’absurdité de la vie saute aux yeux et il est alors impossible de se débarrasser de cette vision. Serra met donc en scène les moments où les médecins se contredisent. Ils empêchent le roi de voir ses chiens, de manger des fruits; ils lui refusent la douleur à la jambe. Ils font appel à des diagnostics et des traitements improvisés. Autant, la parade ridicule de ces prétendus médecins est due à nos connaissances de la science, mais elle fait écho à l’esprit critique de Louis qui, sur son lit de mort, grandit et se nourrit de son malheur.
Le film n’est pas sans humour et ceci souligne toute l’absurdité de cette fin, car le rire est l’une des formes de critique des plus efficaces. C’est là où la mise en scène est géniale, car ce n’est pas le jeu ou même la scène en soi qui fait rire, mais bien la mise en scène. Par exemple, au moment de la mort du roi, Serra choisit de filmer longuement un serviteur en pleurs qui manifestement peine à faire couler les larmes. Encore, l’autopsie de l’Homme-État est une succession de procédures risibles où, par exemple, la raideur du rein est due à la grande sudation de son propriétaire… Les discours sont loin d’être plus sérieux. Lorsque les savants de la faculté de médecine interrogent le charlatan engagé dans une ultime tentation de sauver le monarque, ceux-ci ne font pas honneur à la raison des Lumières. Les arguments échangés sont d’un ridicule extraordinaire. Cet humour qui nous enseigne est digne de Molière, sans doute le plus illustre exemple de la critique par le rire.
Pourquoi raconter cette mort aujourd’hui ? Louis XIV a dit un jour : « L’État, c’est moi! » Lorsqu’on voit ce Moi-État malade, on ne peut que se ramener à notre époque où la politique reprend en absurdité. Pendant un long moment, Louis XIV nous regarde d’un air sévère et nous disant : « Avez-vous compris? ». Il faut bien retenir une chose de cette œuvre. C’est que l’expérience traumatique rend les parades sociales ridicules, remet en question la raison comme principe fondateur. C’est la maladie de l’État qui rend critique. Ce crépuscule d’une idole n’aura jamais été aussi essentiel, aujourd’hui.
Genre : Chronique historique – Origine : Espagne / France / Portugal – Année : 2016 – Durée : 1 h 56 – Réal. : Albert Serra – Int. : Jean-Pierre Léaud, Patrick d’Assumçao, Marc Susini, Irène Silvagni, Bernard Belin, Jacques Henric – Dist. : Axia Films.
Horaires
@ Cinéma Beaubien
Classement
Tout public
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