9 novembre 2017
Un cinéaste tourne un film sur Barbara. Est-il amoureux de son actrice, de la véritable artiste, des deux à la fois ? Et cette comédienne, Brigitte, n’est-elle pas elle-même sous l’emprise de la grande dame qu’elle incarne ? Pour son quatrième long métrage, et un peu à l’instar de ce que l’on avait vu dans Tournée (2010), Amalric prend des risques purs, des risques cinématographiques. Ici, rien n’est simple, ni sa réalisation, ni sa construction et encore moins son personnage principal.
La mise en abyme y est aussi vertigineuse que casse-gueule. Le cinéma est dans le cinéma. Il se nourrit de vérités, de mensonges, de rêves et d’idéalisation. Barbara c’est en fin de compte une imbrication sensorielle, ou mieux, une osmose hantée par plusieurs niveaux de réalité. Le petit jeu de la compréhension se complexifie et devient, somme toute, totalement inutile. Casse-tête sans début ni fin, ce Barbara d’Amalric est bien plus une immersion fugace, indéfinissable qu’une biographie agencée avec soin. Un brouillon, presque, tant l’objet démontre une liberté folle, une envie de créer plutôt que de recréer.
Certes, la démarche a de fortes chances de désemparer les amateurs de récits linéaires ou d’évocations factuelles. Ils ne verront rien de cela ici. Ils auront droit tout au plus à quelques bribes d’une carrière de plus de quarante ans, parsemées au gré d’un conte en forme de mosaïque. Une date de naissance, la maison de Précy-sur-Marne, les récitals au cabaret L’Écluse, le décès de son père qui lui laissa de si profondes blessures, l’engagement contre le SIDA, ou encore des rappels subtils à sa relation avec Brassens ou Brel. Rien de plus.
Pourtant, en dépit de son apparence décousue, le film est un hommage on ne peut plus vibrant à l’énergie créatrice de l’artiste. Outre la trame sonore qui laisse une large place à cette voix inimitable, Amalric a trouvé en Jeanne Balibar un mimétisme fascinant. Il s’en sert à merveille dans certains plans ou les archives d’époque s’imbriquent si parfaitement à la fiction qu’il faut s’y prendre à deux fois avant de démêler le vrai du faux. Ces moments donnent à l’actrice Jeanne-Béatrice-Barbara une épaisseur, une complexité qui rejoignent celle de la véritable Barbara, dont la personnalité est demeurée insaisissable toute sa vie durant. Il est ainsi avec ce film. On ne l’embrasse pas, on le devine.
Se concentrant essentiellement sur les inspirations de l’artiste, Barbara n’est pas une biographie « parfaite » dans la mesure où en sortant de la projection l’interprète de L’Aigle noir garde toute l’aura de mystère qui l’enveloppait déjà de son vivant. La grande Barbara était une auteure sans pareil dans la chanson française. Une femme nomade, hors des normes et du temps qui choquait autant qu’elle envoûtait. Il aurait été trop facile (et très certainement dommageable) de lui rendre hommage dans un biopic convenu. Amalric a pris le parti de l’audace formelle sans galvauder son sujet. Nous ne pouvons que l’en remercier.
Genre : Drame biographique – Origine : France – Année : 2017 – Durée : 1 h 39 – Réal. : Mathieu Amalric – Int. : Jeanne Balibar, Mathieu Amalric, Lisa Ray-Jacobs, Vincent Peirani, Aurore Clément, Grégoire Colin – Dist. : MK2 | Mile End.
Horaires
@ Cinéma Beaubien – Cineplex
Classement
Tout public
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.