30 novembre 2017
Jeune Femme, c’est tout d’abord une grande rencontre entre une cinéaste débutante et une actrice peu connue : Léonor Serraille, dont le premier long métrage vient d’être couronné par la Caméra d’or à Cannes, et Lætitia Dosch, comédienne franco-suisse au tempérament imprévisible qui occupe l’écran mur à mur dans le rôle de Paula.
Filmant son scénario de fin d’études, Léonor Serraille, qui dans un geste féministe s’est entourée d’une productrice et d’une équipe technique presque exclusivement féminine, suit pas à pas son héroïne et le parcours chaotique de celle-ci dans les rues de Paris, au gré de ses errances, de ses rencontres et des petits boulots qu’elle finit par se trouver.
Il s’agit d’une histoire simple, racontée par touches fines à la faveur d’une mise en scène elliptique, avec un montage syncopé pas toujours raccord, comme un patchwork de sentiments, d’atmosphères et de tranches de vie, qui capte l’air du temps dans une France morose post-attentats. On est loin du Paris glamour ou carte postale, puisque l’action se situe le plus souvent dans des lieux modestes (comme une chambre de bonne), dans le métro ou dans les allées sans âme d’une galerie commerciale. Au détour, Serraille démontre une préoccupation certaine pour la génération de la fin vingtaine, début trentaine qui doit souvent se farcir plusieurs petits jobs mal rémunérés, à temps partiel, pour joindre les deux bouts.
Par son intrigue, Jeune femme rappelle à la fois les péripéties du couch surfer de Inside Llewyn Davis des frères Coen (versant masculin de la protagoniste principale, qui traîne aussi un chat avec lui), et surtout celles de Sue d’Amos Kollek, ou encore, en moins dramatique, une version urbaine de Sans toit ni loi d’Agnès Varda. Mais, à l’inverse de Sue, perdue dans Manhattan, qui subissait des revers de fortune en raison de son état dépressif, ou de la Mona de Varda, rebelle jusqu’à la mort, Paula est une battante pleine d’énergie et de ressources, qui finit par faire basculer à son profit les situations les plus difficiles, se réinventant au fur et à mesure, et se débrouillant avec les moyens du bord.
La réalisatrice se réclame aussi du cinéma de Cassavetes, et ça se sent. Après avoir choisi Dosch pour incarner sa Paula, Serraille a réécrit son scénario en fonction de son interprète, et les deux se sont livrées à des séances d’improvisation. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à se reporter aux scènes « d’interrogatoire » (à la clinique et en entrevue d’emploi), à celles de Paula avec sa mère (la trop rare Nathalie Richard) ainsi qu’à celle de l’engueulade avec son ex en mode reconquête.
Vue entre autres dans La bataille de Solférino de Justine Triet, Lætitia Dosch (ainsi que Paula, comme l’annoncent ses yeux vairons) est une espèce de femme-caméléon. Tantôt belle tantôt moche, tantôt énergique tantôt passive, tantôt disjonctée tantôt réfléchie. Avec toujours une sorte de grain de (douce) folie qui n’attend que le moment de se manifester. Imprimant au film ses looks colorés et disparates, son corps gracile et son débit de mitraillette, Dosch vocifère, crâne, danse, s’énerve, fume, navigue dans les rues de Paris comme une naufragée… C’est une galerie de personnages – un festival – à elle seule.
C’est là le tour de force de cette comédienne atypique qui, par sa seule façon d’être, rend attachant un personnage pouvant paraître revêche. Telle une funambule, elle marche sur le fil ténu entre drame et comédie, sans jamais verser d’un côté ni de l’autre.
Sans aucun doute, une cinéaste et une actrice à suivre !
Genre : Drame – Origine : France / Belgique – Année : 2017 – Durée : 1 h 38 – Réal. : Léonor Serraille – Dist. : Les Films Axia.
Horaires/Info.
@ Cinéma Beaubien
Classement
Tout public
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.