3 mai 2018
La tenue, la sensibilité, l’élégance et le raffinement règnent dans le premier long métrage de l’Iranienne Sadaf Foroughi, possédant un regard cinématographique imprégné d’autant de douceur que de rage envers une société en crise. Ses prédécesseurs, des hommes et des femmes, ont déjà et continuent d’aborder la peinture d’un pays où le social ne peut se séparer du politique et où la femme est parfois sa propre ennemie (mère de Ava). Brillants regards collectifs où l’urbanité est vue comme une agglomération d’individus fantômes dans une jungle tentaculaire, et obsédés par la réussite.
On dénonce sans regret, on s’accroche aux codes du pouvoir, on fait tout pour monter les échelons. Et faire partie d’une classe intellectuelle et aisée ne veut rien dire. Traditions, conventions, famille, patrie et religion sont des styles de vie qui non seulement engagent le chaos social, mais donnent au pouvoir une garantie de succès.
La rage, chez les personnages de Foroughi, c’est surtout l’impossibilité de nourrir les vrais sentiments. L’amitié pure et saine entre Ava (magnifique Mahour Jabbari) et Nima (Houman Hoursan (lui aussi débutant, mais périphérique selon l’approche de Foroughi) son partenaire de cours de violon, est vue comme un attentat à la pudeur. Le 21e siècle n’a jamais été aussi conservateur et obscurantiste. Paradoxalement, le père semble plus accueillant, hormis la fin du film, alors que les choses changent comme par enchantement, nous devrions dire « désillusion ».
Sans être un film féministe, Ava est construit selon une approche féminine : regard sur la femme, sur l’homme, sur la société, maniement de la caméra, récits aussi linéaires que métaphoriques dont les miroirs demeurent la plus belle illustration.
Le politique n’est pas abordé de front, mais on sent, derrière ces images, le grand désir d’une jeunesse pour atteindre des niveaux plus adaptés au nouveau siècle (dans les gestes, les mouvements, la sexualité, la façon, pour la femme, de s’habiller). Quoi qu’il en soit, faut-il être né au pays pour qu’on sache de quoi il est question? La quête de liberté, autant pour les hommes que pour les femmes, donner à ces dernières des points d’ancrage plus égalitaires, des enjeux qui valent la peine qu’on s’y penche sont des questionnements universels, même dans les pays riches.
La mise en scène, frontale, revendique l’absence de mouvements, car il s’agit, pour Foroughi, de capter les faits et gestes comme si le cinéma devenait un pinceau étalant ses couleurs sur une toile. On ne peut nier que la jeune réalisatrice montre que les droits bafoués des femmes dans des pays conservateurs viennent souvent des propres femmes, nous l’avons dit, et nous le répétons.
On ne peut le nier : le cinéma iranien est parmi les cinématographies nationales les plus responsables du monde parce qu’il ne cesse de remettre en question une société patriarcale qui perdure depuis des siècles. Mais, encore, avouons que l’Iran n’est pas toutefois le seul pays qui vit cette affligeante situation. Tel un agréable fantôme venu du Paradis, Abbas Kiarostami traverse royalement le cinéma de Sadaf Foroughi.
Il est indéniable que Ava méritait une sortie plus large. Certainement, signes du temps, moroses et injustes.
Réalisation
Sadaf Faroughi
Genre : Drame – Origine : Canada / Iran / Qater – Année : 2017 – Durée : 1 h 42 – Dist. : [Grasshopper].
Horaires & info.
@ Cinémathèque québécoise
Classement
NC
(Non classé / Exempté)
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]
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