7 juin 2018
Personne n’a mieux dépeint l’homme rongé par le mal que le cinéaste et scénariste Paul Schrader. Capable de l’exécrable (ses derniers thrillers mettant en vedette Nicolas Cage) comme du génialissime (Mishima: A Life in Four Chapter, Affliction), il explore inlassablement depuis les années 70 les méandres de la psyché d’ambulanciers tourmentés, de chauffeurs de taxi vengeurs, de pères violents et de fils brisés, d’auteurs suicidés, d’obsédés sexuels et autres détraqués de l’âme en mal de repères. First Reformed, annoncé comme un retour en force depuis sa première mondiale à Venise, ajoute à ce tableau le pasteur d’une petite église du nord de l’état de New York, lieu touristique plutôt que de culte.
Le révérend Toller (Ethan Hawke), dont les sermons n’amassent pas foule, reçoit la visite d’une jeune femme enceinte, Mary (Amanda Seyfried), inquiète de l’humeur ombrageuse de son époux. Activiste écologiste, ce dernier ne peut se résoudre à livrer au monde un enfant alors que les réchauffements climatiques menacent notre planète. Dieu saura-t-il nous pardonner de ce crime à l’endroit de sa Création ? Dans le journal qu’il tient chaque soir à la lumière d’une chandelle, Toller questionne, doute. Et s’il devenait le bras qui châtie, celui d’un Dieu vengeur ? Pour Schrader, qui a grandi dans une famille pieuse, voilà une occasion de réactualiser son obsession pour la métaphysique, prenant la question écologique comme point d’amorce d’un chemin de croix qui sera traversé avec résignation par Toller.
First Reformed est un film courageux, nécessaire, déchirant et déchiré, qui rend hommage aux maîtres, Bresson d’abord, Bergman ensuite, sans pour autant se confondre en génuflexions. Une œuvre somme, testamentaire même, se soldant de façon ahurissante et qui alimentera de nombreux débats dans les semaines et mois à venir. La réussite du film se cache dans cette capacité de Schrader à rendre à nouveau exigeante et nécessaire une proposition cinématographique d’auteur, rigoureuse certes, mais assurée, à traiter de questions graves en refusant les concessions ou la facilité, à des années-lumière de l’ironie post-moderne et de cette nouvelle sincérité lamentable minant le discours des apôtres du politiquement correct.
Ethan Hawke, en pasteur meurtri et aspiré dans une spirale évoquant celle qui a emporté (ou pas) le Travis Bickle de Taxi Driver, livre une performance nuancée, émouvante, habitée d’une colère sourde. Schrader lui a offert un rôle magnifique, construit avec un souci d’ambiguïté, refusant les issues définitives. Les sceptiques seront confondus : alors que nous n’attendions plus rien de lui, Paul Schrader a réalisé un film important, signe d’une Amérique en état de banqueroute politique et spirituelle, avec le panache d’un artiste qui prend la parole comme s’il s’agissait de la dernière occasion de le faire.
Sortie
vendredi 8 juin 2018
V.o.
anglais ; s.-t.f.
Dialogue avec Dieu
Réalisation
Paul Schrader
Genre
Drame psychologique
Origine
États-Unis
Année
2017
Durée
1 h 53
Distributeur
Films Eye Steel Inc.
Horaires & info.
@ Cinéma du Parc – Cineplex
Classement
Interdit aux moins de 13 ans
(Accès autorisé si accompagnés d’un adulte)
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. ★ Mauvais.
½ [Entre-deux-cotes]
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