17 janvier 2010
« Je pouvais tout faire, du moment que la vérité émotive de mon projet était bien là… »
— Sami Gnaba
Comment vous est venue l’idée d’adapter le livre de Patrick Senécal au cinéma ? Qu’est-ce qui vous séduisait là-dedans ?
C’est Nicole Robert qui m’a appelé. Elle avait déjà le projet puisque, à l’origine, c’était Robert Morin qui devait le réaliser. Il avait déposé son projet trois fois auprès des institutions, mais il n’a pas eu de financement. J’ai commencé alors à lire le scénario de Morin, auquel Patrick Senécal avait collaboré. C’était bien, mais il y avait des trucs que j’aimais moins. Alors, j’ai lu le livre et là je me suis dit que c’était ça, le film ! Moi et Patrick, on s’est rencontrés ensuite. Il avait une version du roman écrite dans la forme d’un scénario. Et on est parti de là. Il faut dire aussi qu’on se ressemble beaucoup tous les deux, on avait la même vision, le même point de vue sur la question de la vengeance. Il n’y a rien d’américain dans la manière dont on la traite. On est très loin de Charles Bronson qui arrive dans Death Wish. Le personnage de Legault ne trippe pas devant l’acte qu’il est en train de commettre. C’est répréhensible, ce qu’il fait. Humainement parlant, c’est compréhensible. Moralement, toutefois, ça ne l’est pas. J’aimais bien les questions que ça soulevait, l’ambiguïté.
Le bref échange de la fin entre Legault et le journaliste caractérise bien cette ambiguïté, je crois.
Oui. Le journaliste lui demande si la vengeance est la solution, il répond non. « Est-ce que vous regrettez votre geste ? Non ». C’est vraiment ça. C’était mon feeling sur la question. D’ailleurs, j’avais dit à Patrick qu’il fallait que ça se termine de cette manière, comme dans son livre. Elle ne se retrouvait pas dans les autres versions de scénario…
Il y a une scène dans votre film qu’on oublie difficilement, c’est celle de la torture avec les chaînes. Vous réussissez là à trouver un parfait équilibre entre la violence assez gore injectée dans l’acte de Bruno et la fragilité de ses propres sentiments. De son humanité. Comment abordez-vous une telle scène ?
C’était très important pour Patrick que le spectateur ressente le bad trip de Claude, son mal, et qu’il saisisse l’étendue des deux points de vue; celui du pédophile et celui de Bruno. On a eu beaucoup de discussions avec les comédiens, en s’interrogeant sur les motifs de cette scène : « Il faut sentir quoi, là ? Est-ce qu’on est avec Claude ? On n’est pas avec Claude ?» On n’avait pas de dialogues écrits. Tant mieux, parce que je trouve qu’il y en a déjà trop au cinéma. Mais c’était primordial de subir ce qu’il y avait dans la tête de Bruno. Le vrai défi du film, c’était ça. D’être des fois avec Bruno, mais aussi d’être contre lui, en se disant qu’il va trop loin. Il y en a certains qui, ayant vu le film, m’ont dit qu’il aurait dû faire souffrir plus le pédophile. Ceux-là, ils me font peur. Puis, il y en a d’autres qui ne sont pas d’accord, dès le premier coup de masse… À un certain moment, après toute cette violence, il faut obligatoirement revenir à l’essentiel, à ce qu’il a perdu. C’est pour cette raison que le personnage de la fille de Bruno réapparaît à la fin. D’où l’idée du sang que Bruno essaie de lui essuyer des mains. Le fait est qu’il ne pourra jamais effacer ce crime-là, même s’il tue le gars, même s’il le castre. Il n’effacera jamais sa propre douleur. En fait, le Talion parle essentiellement de deuil. Et le meilleur moyen de dealer avec, c’est de l’accepter. Tu ne peux pas te battre contre.
Si je peux me le permettre, je vais oser te mentionner deux scènes qui m’ont un peu posé problème. La première, quoique mineure, c’est ce travelling un peu voyant sur le téléphone au tout début du film, surtout comment tu insistes dessus. Là, on reconnaissait le Podz de Minuit, le soir. J’ai eu plus de difficulté encore avec l’accent mis sur le personnage endeuillé du policier en train d’écouter le tape du vol, durant lequel sa femme est abattue. D’un point de vue littéraire, je pouvais le concevoir. Ça fonctionne. D’un point de vue cinématographique, j’étais un peu plus sceptique.
Ça t’a dérangé qu’on revienne là-dessus ? Tu avais compris ?
Oui. Ou plutôt l’expression dans le jeu de Rémy Girard me suggérait quelque chose comme une détresse ou un deuil. Surtout après qu’il ait raconté à la conjointe de Bruno que sa femme était morte. Mais je crois que tu reviens dessus encore une fois.
Je pensais qu’elle nous fournissait des nouvelles informations à chaque coup. Je reviens dessus trois fois. Au tout début…
D’ailleurs, pourquoi ouvrir ton film avec le personnage de Rémy Girard?
Ça, c’est intéressant. Le scénario commençait avec Bruno qui fait son opération, ensuite tu avais Rémy regardant la vidéo et enfin tu avais la fille. Mais ça ne marchait juste pas, parce que si on partait sur le personnage de Claude, on voulait rester avec lui. Et quand le personnage de Rémy arrivait, on sentait là une sorte d’interruption. C’était boiteux. Alors, j’ai changé l’ordre et j’ai mis le personnage de Rémy au début. Comme pour composer un prologue. Et ensuite, on passait à Claude. On mettait ainsi les deux pôles du film bien en vue. C’est juste pour cette raison. C’est une structure délicate, tu sais. Je comprends ce que tu veux dire, que ça puisse être redondant. C’est toujours un cauchemar le montage d’un film. On se demande sans cesse si on est en train de se répéter, parce que c’est ce que le spectateur ne veut pas. Quand il sait de quoi, il le sait.
Tu as conquis assez tôt dans ta carrière un style visuel d’une belle singularité. Même à la télé, tes images, ta mise en scène s’approchaient beaucoup plus du canevas cinématographique que de celui de la télé. Quelles ont été tes plus grandes influences en tant que réalisateur ?
Elles proviennent d’un peu partout. À chaque nouveau projet, j’essaie de puiser dans des sources différentes. C’est clair que si je fais un film sur la vengeance, comme Les 7 Jours du talion, je ne vais pas vouloir regarder d’autres œuvres sur le même thème ! Si tu mets en scène un film de boxe, ne va pas voir des films de boxe; regarde à la place des films de ballet, tu comprends. Quant à mes influences, j’aime beaucoup Bergman, qui incarne pour moi le summum en matière de réalisation, et Spielberg aussi. Tu diras ce que tu veux de ses scénarios, mais il a une façon de raconter une histoire qui est vraiment dure à égaler. La caméra, il sait où la placer ! Chez lui, chaque plan t’amène à une nouvelle information. En ce qui concerne le traitement de la dualité, par exemple, entre les deux personnages dans Les 7 Jours, j’ai revu Schindler’s List pour m’inspirer. En fait, la chose qui m’a probablement le plus inspiré, c’est un roman : Ulysse de James Joyce. C’est complètement fucké comme style d’écriture. Quand j’ai lu ce livre, j’ai eu le sentiment que tout était possible, que je pouvais tout faire, du moment que la vérité émotive de mon projet était bien là. Si tu es conséquent avec tes personnages et que l’émotion dans les situations est juste, vraie, tu peux tout faire après.
L’absence de musique dans le film annonçait quoi comme approche esthétique ?
À chaque fois qu’on mettait de la musique, je trouvais que ça fonctionnait, mais ça allégeait le propos. Moi, je voulais que le film soit pesant, lourd, et qu’on se concentre avant tout sur les images. Je ne voulais pas de réconfort, d’échappatoire, compte tenu de la lourdeur et du sérieux des thèmes abordés.
Penses-tu être allé trop loin des fois, notamment dans la scène où le père découvre le corps de sa fille ?
Ouais. Cette scène particulièrement crée un gros débat… Je ne sais pas pourquoi, mais j’y tenais. Je voulais démontrer à quel point c’est viscéral de perdre sa fille. À quel point ça te rentre dedans. J’ai comme ce feeling que le monde est devenu trop habitué à voir la violence au cinéma, et qu’on la prend pour acquis des fois. Ici, je voulais que chaque coup porté soit ressenti. À la limite, si tu te caches les yeux en regardant ces scènes, tant mieux. Ça prouve que tu es un être humain sensible et intelligent. J’aime ça, les films d’horreur, gore, mais je pense aussi qu’il devrait avoir de la place pour les films qui traitent la violence d’une manière honnête et réaliste. Parce que c’est aussi cela, la violence, c’est laid. J’avais peur d’être complaisant dans ma manière de la montrer, mais comme je croyais tellement dans le propos de Patrick, j’y suis allé à fond.
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