12 février 2010
Le faussaire
Pourquoi avoir choisi de parler d’un film en guise d’éditorial ? Pour la simple raison qu’il aborde, entre autres, le sujet si rarement1 exploré au grand écran : la critique de cinéma.
Mais ce film, Un autre homme2, atteint d’une savoureuse dérision et d’un cynisme mélancolique, se savoure grâce à un noir et blanc qui assume sa place avec aplomb, son ambivalence face à son personnage candidement plagiaire et à un dialogue magnifiquement exécuté.
Cet autre homme, c’est François, chroniqueur à l’Écho de la vallée de Joux, petit et seul journal local de la région, à qui le rédacteur en chef/imprimeur demande de rédiger une critique (favorable) du film présenté (contre vents et marées) dans la seule salle de cinéma des lieux. François aura, bien entendu, le privilège de visionner le film à l’avance.
Comme premier travail, on lui propose Last Days, de Gus Van Sant, exercice pour le moins périlleux. Pour se tirer d’affaires (lui qui est licencié en lettres, mais ne connaît rien au cinéma), il copie mot à mot une critique du film parue dans la revue Travelling, et qui deviendra son cheval de bataille.
L’anatomie d’un plagiat mise en scène par Baier étonne par son absence de jugement, sa présence grandissante dans le monde d’aujourd’hui, son rapport avec la vie professionnelle et la privée, ses dérives dangereuses et ses conséquences.
Dans la peau de François, Robin Harsch affiche sa bonhomie envers soi-même avec affectation, se permet une aventure extra-conjugale avec Rosa Rouge (clin d’œil à la Luxembourg célèbre et au Parti que vous devez deviner), joint les rangs des critiques (trop sérieux et parfois condescendants) lors des projections de presse à Lausanne… et continue son travail de faussaire avec une naïveté délibérée.
Réflexion sur un métier de plus en plus menacé, Un autre homme étale son constat à la fois avec humour et un brin d’ironie assassine. Il décide d’intégrer une fiction aux accents sentimentaux et, fidèle à l’air du temps, s’offre même le luxe de proposer un happy-end d’une gaillardise éclatante. Sans oublier les brefs instants avec Bulle Ogier, symbole en quelque sorte de l’âge d’or de la critique.
Un autre homme est un film tonique, essentiel pour les (trop nombreux) critiques de cinéma, et qui affiche ses couleurs (jeu de mot, bien sûr) le sourire aux lèvres.
Élie Castiel | Rédacteur en chef
1 On se souviendra du très beau État critique (1992), de Marcel Jean, documentaire sur l’état des lieux de la critique culturelle, dont celle de cinéma. Ce métier bien particulier était décrit à partir de témoignages de différents intervenants du milieu.
2 Sortie prévue à Montréal : le 19 février.
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