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Le jeu du comédien : un art consommé

5 février 2010

En général, les revues spécialisées de cinéma abordent très rarement le jeu des comédiens, au profit (et à juste titre) d’analyses formelles et, selon le cas, théoriques. Certains films se prêtent cependant à une appréciation de cet exercice où s’incarnent souvent comme par magie gestuelle, jeux de masques, expression, mouvement, danse, autant d’éléments de l’art d’interprétation qui, parfois, subjuguent notre attention jusqu’à perdre pendant quelques secondes le fil de l’intrigue.

Dans son remarquable recueil d’entrevues avec quelques comédiens (de théâtre et de cinéma), Figures of Light: Actors and Directors Illuminate the Art of Film Acting1, Carole Zucker (professeure de cinéma à l’Université Concordia) déclare sans ambages que « the film actor’s poetic resonance, and his or her capacity to transcend the mundane, is an extraordinary feat…» Elle suggère donc la notion d’exploit, de prouesse lorsque le comédien, par son jeu, arrive à transcender le banal, le quotidien, le terre-à-terre.

Mais par la même occasion, ne nous transporte-t-il pas également dans un autre univers, un univers qui nous ressemble mais qui s’offre le privilège de se réaliser autrement, de s’épanouir selon une vision idéalisée (ou le contraire) des choses?

C’est le cas du tout dernier film de Michael Hoffman, The Last Station2, d’un classicisme intransigeant à souhait, mais qui par la connivence des comédiens et leur réciprocité tumultueuse se présente comme un poème lyrique sur nos peurs, nos doutes, nos envies, nos espoirs, nos sentiments d’amour et de haine, de joie et de douleur, d’envie et de partage, de rancœur et de pardon. L’art du comédien devient ici l’art de transmission du vécu, mais sublimé, mis en relief, reconstruit.

L’idée n’est pas de faire la critique du film d’Hoffman, mais de souligner le jeu extraordinairement viscéral des comédiens, notamment en ce qui a trait à Helen Mirren (impériale), Christopher Plummer (puissant),  Paul Giamatti (surprenant) et James McCavoy (intensément habité).

Entre ces quatre personnages, des moments d’une puissance dramatique inégalée. Tour à tour, face à face, l’un contre l’autre, les uns avec les autres, ils s’approprient l’espace cinématographique, donc le cadre, pour inventer des êtres en chair et en os historiquement vrais qui nous ressemblent par leurs forces, leurs faiblesses, leurs émotions innées, à la fois drôles, libres-penseurs, prisonniers de leurs doutes, paradoxaux comme l’est l’expérience humaine.

Élie Castiel — Rédacteur en chef

1 New York : Plenum Press, 1995, p. 5

2 La sortie du film à Montréal est prévue pour le 12 février

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