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Combat

14 mai 2010

Élie Castiel (rédacteur en chef)

À propos du décès de Marcel Simard, l’éditorialiste Marie-Andrée Chouinard du Devoir lançait un cri d’alarme dans l’édition du 10 mars 2010. Lorsqu’elle déclare que « ces départs volontaires, dans toute leur brutalité, ne lèguent que des questions sans écho », c’est tout un système qui est remis en question.

Love-moi — une des fictions de Marcel Simard

À travers son œuvre, qu’il s’agisse de Love-moi, Les Mots perdus ou d’autres films essentiels, l’homme, l’artiste, a toujours mené un combat social et politique par le biais des images en mouvement. Les réponses aux nombreuses questions morales et éthiques se sont toujours soldées par des points d’interrogation jetés en pâture aux spectateurs (et aux autres réalisateurs) pour qu’ils réagissent, pour qu’ils interviennent.

Le cinéma de Simard est dans ce sens un outil réactif. Mais il est aussi celui de l’impossibilité de créer des images dans un contexte ambiant voué uniquement au profit. Si Simard a décidé de partir, c’est sans doute parce qu’on ne lui permettait plus de faire son travail, parce que les impératifs financiers estropiaient son côté créateur, parce que les institutions ne sont plus en mesure de faire la différence entre industrie et création.

Ce qu’on ne cessera jamais de rappeler, c’est que dans l’art de création, c’est surtout de liberté qu’il s’agit, d’impulsion, de mouvement, de rapport au monde et au collectif. Dans ce sens, la fiction peut parfois (ou selon le cas, souvent) bien rendre cette prise de position, mais c’est surtout le documentaire qui la façonne de manière plus crédible; par sa force, son énergie farouche d’aller droit au but, sa rigueur, sa spontanéité et, comme c’est souvent le cas, par la sincérité et la puissance humaniste des sujets filmés.

Si d’une part, le documentaire québécois se place parmi les plus importants du monde, sans aucun doute en raison de son caractère furieux, intransigeant, humain et investigateur, il est de plus en plus assujetti à des conditions de rendement économique. Lorsque la création devient valeur marchande, elle devient également dépendante d’un système de valeurs appauvri, dénué d’éthique, crétinisé, en prise avec les lois du marché comme s’il s’agissait d’un produit dérivé, asphixié par une profonde et immédiate envie du gain.

Il faut obliger les instances culturelles gouvernementales à prendre position, à dialoguer directement avec les créateurs et non pas avec des administrateurs. Il faut qu’elles créent aussi de nouvelles balises, des dispositions durables et viables pour que le documentaire (et surtout l’acte de création) survive. Car pour une société, il est son propre miroir, son inspiration, sa raison d’être.

Sans réponse, sans engagement de la part des décideurs, obligé de placer sa petite entreprise, Productions Virage, sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, Marcel Simard a préféré la fuite vers le néant.

Geste lâche ? Geste martyr ? Pour certains, peut-être bien, mais pour d’autres, comme c’est notre cas, un mouvement de défense, un cri d’angoisse, un moyen de perdurer pas l’absence et le silence, mais surtout et avant tout, un signal d’alarme, un appel au rassemblement et à la réappropriation des gestes du possible, et aussi une action instinctive, tout à fait réfléchie, délibérée et férocement courageuse, pour laisser la chance aux autres, à ses collègues, de continuer le travail.

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