24 novembre 2011
>> Élie Castiel
C’est l’histoire, ou mieux encore, le destin d’une enfant abandonnée qu’on retrouve. On l’adopte et elle vit à travers les siècles, conservant le prénom d’Ana. Nom emblématique car elle incarne toutes ces femmes issues de la mythologie, de l’Histoire, du quotidien, du politique, du social et du culturel. Un récit en mode hybride.
Avant tout, Ana est une tentative, un effort commun de désamorcer les obstacles linguistiques. Dans cette perspective de libération de la parole, Clare Duffy et Pierre Yves Lemieux ont créé une œuvre singulière où la langue n’est plus l’apanage d’une culture, mais au contraire, se partage, se vit mutuellement, s’autorise des correspondances, s’ouvre au monde. Comme quoi le phénomène de la mondialisation dans le domaine de la culture peut parfois porter fruit. Certains trouveront cette démarche étrange, peut-être même boîteuse ou périlleuse par les temps qui courent. Mais soyons indulgent envers ce premier essai fort concluant à certains points de vue. Tout d’abord par rapport à la mise en scène qui, grâce au côté linguistiquement binaire de la pièce, se permet des libertés que Serge Denoncourt manipule avec une aisance inaccoutumée, sensible aux moindres détails, utilisant l’espace scénique selon une approche minimaliste inspirée. Des sortes de cages abritent les différentes « Ana », selon les âges, les époques, les événements de l’Histoire. Ces installations bougent de tous les côtés, s’infiltrent aux personnages, ne cessent de se réinventer comme s’il s’agissait d’une chorégraphie du concret, d’un amalgame de formes sculptées nées d’un laboratoire scientifique. Elles sont toutes femmes et elles nous racontent les multiples récits. Et autour de ces microcosmes féminins, un seul homme, maître de céromonie, personnage historique ou individu du quotidien qui se transforme devant nos yeux comme si de rien n’était. Denoncourt contrôle les déplacements avec un sens inné de l’espace, suscite des petites surprises, se soumet aux vertiges caractériels de toutes ces héroïnes pour finalement se laisser emporter par le courant d’une pièce de théâtre qui chavire entre l’existentiel et le rêvé. Car dans tout cela, Ana, c’est la révolte (comme cette belle et courageuse Médée d’Euripide), la soumission, le désespoir, l’exil, mais aussi la liberté d’être et l’affirmation de soi comme expression de l’individu envers et contre tous. En toute perspective, du théâtre sensuellement iconoclaste.
COMÉDIE DRAMATIQUE | Auteurs : Clare Duffy, Pierre Yves Lemieux – Production : Stellar Quines Theatre Company (Écosse) / Imago Théâtre (Québec) – Mise en scène : Serge Denoncourt – Scénographie : Louise Campeau – Éclairages : Martin Labrecque – Costumes : Megan Baker – Comédiens: Catherine Bégin, Selina Boyack, Lisa Gardner, Dominique Leduc, Frances Thoburn, Magalie Lépine-Blondeau (les femmes), Alain Goulem (les hommes) | Durée : 1h45 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 10 décembre 2011, à Espace Go.
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