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L’Éclipse

25 avril 2012

SONATE D’AUTOMNE

>> Élie Castiel

Deux femmes, l’une la mère, l’autre la fille. Deux générations qui s’affrontent, se déchirent, et malgré elles, assument leurs liens de consanguinité. Deux comédiennes sous l’influence d’un texte aussi complexe que foudroyant.

Le décor occupe toute la scène, laissant les personnages s’exprimer librement au gré des situations, les permettant de circuler à leur guise, de déployer mille et un sentiments. Et lorsque le récit tourne autour des rapports mère-fille, chaque mot compte, chaque geste surprend, chaque état d’âme se révèle complice.

Il y a d’abord un texte. Celui de la grande poète et romancière américaine de renom. Les mots de Joyce Carol Oates sont prémonitoires, assassins, vertigineux ; ils prennent des doubles sens, s’inscrivent dans l’espace de l’intime avec une détermination farouche et finissent par éclater. Ce sont des mots de tous les jours, des paroles qu’on a parfois du mal à prononcer. Et soudain le délire, l’affirmation de soi, les reproches qu’on fait à autrui. De temps en temps, des petites pauses teintées d’un humour glacial, pour reprendre ses forces, pour continuer la joute.

Un affrontement entre deux générations. Mais surtout et avant tout, une mise en contexte de deux époques, celle d’un passé conservateur confronté dans le réel à une prise de conscience sociale. Avec des mots acerbes et dérangeants, parce qu’ils disent la vérité, Oates prouve que le mouvement féministe est surtout un acte politique en plus d’un geste interventionniste de libération sociale. Elle parle ainsi d’une Amérique de l’intime, du privé et du collectif rarement abordée sur la scène ou à l’écran.

Pour incarner deux femmes aussi vulnérables que grandioses, deux comédiennes : tout d’abord Andrée Lachapelle, impériale, d’une jeunesse intemporelle. Elle habite la scène avec une énergie exaltée sans pour autant voiler la présence d’Ansie St-Martin, d’une clarté exemplaire, exprimant ses incertitudes, ses tourments et son amour filial occulté avec des gestes aussi impulsifs que maîtrisés.

Et puis, il y a aussi une mise en scène. Inspirée, limpide, sobre et vigoureuse à la fois, utilisant les accessoires et les décors scéniques avec un sens contrôlé de l’espace. Il s’agit d’une mise en situation immergée dans un texte qui ne laisse aucun place à l’abandon ou au répit. Et puis ce fameux éclipse qui ne se révèle qu’à la fin. Une finale tout en nuances et d’une élégance éclatante qui emporte le spectateur au plus profond de son être.  Sensible et poignant !

DRAME | Auteur : Joyce Carol Oates – Traduction : Maryse Warda – Mise en scène : Carmen Jolin – Comédiens : Andrée Lachapelle (Muriel Washburn), Ansie St-Martin (Stéphanie Washburn), Debbie Lynch-White (Aileen Stanley), Jacques Baril (L’homme) – Musique : Nikita U – Scénographie : Loïc Lacroix-Hoy – Éclairages : Stéphane Ménigot – Costumes : Marie-Noëlle Klis  | Durée : 1 h 20 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 19 mai 2012 – Théâtre Prospero.

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