7 mai 2012
>> Élie Castiel
Transposer sur scène en forme chorégraphique Le Petit Prince, l’œuvre maîtresse d’Antoine de Saint-Exupéry, tenait tout simplement du pari. Gageure d’autant plus risquée qu’elle aurait pu finir par offusquer les tenants puristes de la littérature. De quelle façon aborder un conte, en l’occurrence traduit en plus de 250 langues, sans en transformer sa carapace, sa raison d’être.
Des écrits de l’auteur, Le Petit Prince est le plus allégorique, d’où les aquarelles faisant partie du texte, toutes collaborant à une épure du langage, lui donnant ainsi sa profondeur et son côté universel. Sur scène, cette conception imagée devient ballet abstrait dont les configurations scéniques s’appuient sur une toile qui, selon les circonstances, tombe, remonte ou reste à la surface pour mieux capter les danseurs et saisir leurs intentions.
Lorsque élevée, ce morceau de tissu laisse clairement voir un miroir réflexif en forme d’écran, légèrement courbé, qui révèle avec une sensualité et un sens précis du détail les mouvement des danseurs. Cette binarité ne fait qu’accentuer le propos. Nous avons l’impression d’assister à une double représentation : le ballet et la lecture virtuelle d’un livre chorégraphié. Et plus encore, la version Veldman du Petit Prince est à la fois scénique et cinématographique, tant dans l’emprise qu’elle exerce sur les danseurs que sur son aspect visuel.
Didy Veldman est d’origine néerlandaise. Comme il se doit, elle a suivi une formation classique aux Pays-Bas et a collaboré dans de nombreuses troupes, dont le Ballet Scapino, à Amsterdam, et la Bambert Dance Company, à Londres. Pour les Grands Ballets Canadiens, elle a signé Carmen, Toot et Tender Hooks. La mise en contexte du nouveau spectacle s’avère d’une richesse remarquable, et justement en raison de sa simplicité. Gestes qui paraissent répétitifs, mais qui ne le sont pas. Par leur précision et leur dynamique infaillible, ils semblent arrêter le cycle du temps, lui donnant un aspect intemporel qui ne fait que sublimer le côté aérien et rassembleur de la fable.
Le danseur Kenji Matsuyama Ribeiro danse le petit prince, cet enfant qui découvre un monde où tout n’est pas semblable et qui apprend à vivre malgré les différences. Il s’empare de la scène et le temps d’une déconstruction du récit, lie avec les autres danseurs et danseuses des rapport harmonieux qui finissent par produire une fusion cohérente et structurée. Les musiques de Kimmo Pohjonen, Jean-Sébastien Bach, Morton Feldman et David Lang se mettent à l’unisson pour faire parler les gestes et surtout les apprivoiser.
Et derrière ce conte pour enfants (et adultes) qui soulève de grandes questions existentielles, une mise en mouvements signée par une chorégraphe contemporaire dotée d’un imaginaire exceptionnel et cohérent et d’un humanisme à la fois conciliateur et combattant.
LE PETIT PRINCE – ADAPTATION CHORÉGRAPHIQUE | Chor. : Didy Veldman | Mus. : Kimmo Pohjonen, Morton Feldman, John Cage, Dan Jones, Bach, The Contours, Meredith Monk – Déc. / Cost. : Kimie Nakano – Éclair. : Marc Parent – Danseurs : Kenji Matsuyama Ribeiro (le petit pince), ainsi que le Corps de ballet des Grands Ballets Canadiens | Durée : Environ 1 h 20 (sans entracte) | Prochaines représentations : Les 10, 11 et 12 mai à 20 h – Théâtre Maisonneuve (Place des Arts).
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