23 novembre 2012
>> Charles-Henri Ramond
Une nouvelle polémique sur la présumée non rentabilité du cinéma québécois a fait surface la semaine dernière dans les colonnes des quotidiens, mettant une fois de plus sur la sellette l’épineuse question de son financement et de son cinéma d’auteur. Cette remise en question resurgit alors qu’il est à peu près certain que les parts de marché québécoises de l’année 2012 se situeront à un niveau très bas (entre 4 et 5% environ), du jamais vu lors de ces dix dernières années.
L’avis exprimé par Messieurs Guy Gagnon (ancien responsable d’une importante compagnie de distribution) et Vincent Guzzo (président de l’Association des propriétaires de cinéma du Québec)1 est hélas loin d’être un avis isolé à l’intérieur et en dehors de la profession. Devant les propos démagogiques et injustifiés tenus par ces commerçants, les réactions, véhémentes2 ou plus posées3, ne se firent pas attendre et ont tenté de remettre les pendules à l’heure.
Si l’évidence de la gravité des faibles résultats du cinéma québécois ne peut être niée, on ne peut se contenter d’un pourcentage de parts de marchés pour en évaluer la portée. De même que l’on ne peut, sur les résultats d’une seule année, remettre en cause la totalité d’un système, certes imparfait, mais qui a l’avantage de permettre une production diversifiée. Bien peu de cinématographies nationales peuvent en effet se targuer de proposer aux publics autant de films différents, allant de la plus commerciale série B au drame psychologique intimiste. Remettre en cause le cinéma d’auteur, ne jurer que par les comédies populaires, comme l’ont fait les intervenants mentionnés plus haut, c’est nier l’idée même qu’une cinématographie nationale diversifiée peut exister au Québec.
En ce qui concerne les mauvais résultats de 2012, il serait bon de s’attarder à la quantité et à la qualité des productions commerciales proposées au public cette année. Car il nous semble que c’est bien plus la très faible quantité de productions commerciales disponibles sur les écrans de nos régions, ainsi que leur piètre qualité d’ensemble qui doit être blâmée plutôt que nos « lamentards » films d’auteur, qui se débattent depuis de nombreuses années pour trouver les quelques salles voulant encore bien les accueillir4. Ces derniers nous paraissent de facto assez peu responsables de performance du cinéma québécois dans son ensemble.
Face à une telle situation – que l’on n’avait pas connue depuis de nombreuses années – force est de constater à quel point notre cinéma, plus fragile que jamais, doit faire l’objet d’une attention toute particulière. Dans un territoire aussi petit que le nôtre, gavé ad nauseam de productions américaines et où l’industrie de la distribution ne sait plus à quel saint se vouer, il devient plus que jamais primordial de se pencher de manière globale sur l’état de santé réel de notre industrie. Cette réflexion de fond, introduite par M. Macérola dans son appel au calme de vendredi dernier3, aura la lourde tâche de mettre à la même table les différents intervenants du cinéma, avec l’impérieuse nécessité de trouver des pistes d’actions que l’on espère sereines et constructives.
C’est tout le mal que l’on souhaite au cinéma québécois qui – quoi qu’on en dise – s’est taillé une place de choix dans les plus importantes filmographies nationales et qui a encore de bien belles années devant lui.
1 Entrevue accordée au Journal de Montréal, lundi 13 novembre. M. Gagnon en appelle à plus de comédies populaires et M. Guzzo dit en substance que les films d’auteur québécois « lamentards » coûtent cher aux contribuables et que l’on devrait produire plus de films « que le monde veut voir ».
2 Réponse du cinéaste Philippe Falardeau sur sa page Facebook, 15 novembre; avis de Patrick Huard dans Le Journal de Montréal, 16 novembre et entrevue par La Presse avec des producteurs québécois, 16 novembre.
3 Réaction de M. François Macérola publiée sur le site internet de la SODEC, 16 novembre.
4 À titre de comparaison, La Donation de Bernard Émond était sorti le 6 novembre 2009 dans 22 salles tandis que cette année Tout ce que tu possèdes n’avait droit qu’à 13 écrans lors de son premier week-end.
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