22 mars 2013
>> Élie Castiel
Normand vit dans un petit appartement d’un quartier défavorisé de Montréal. Autour de lui, Tony, une voisine avec qui il brise sa solitude ; Nancy, sa sœur, enceinte et déambulant à droite et à gauche, sans repères ; François, parrain pour un organisme d’aide aux démunis, et qui éprouve des sentiments ambigus envers le jeune homme ; et finalement, Batman, l’ami mystérieux de Normand, qu’on ne verra jamais.
Il y a, dans l’écriture de Serge Boucher, du Michel Tremblay, voire même une dose apparentée à du Réjean Ducharme. Car comme eux, l’auteur de Avec Norm brise les conventions du langage théâtral, se les approprie, les assume à sa façon et les transforme pour en révéler leurs aspects les plus absolus, volontairement sauvages, libres de tout engrenage ou interdits. Il rend la parole la plus réaliste possible, quitte à déstabiliser. Et c’est justement dans sa subversion des mots que cette pièce sur la déchéance et la misère humaine brille et dépasse les frontières de la dramaturgie.
Férocement proche de son époque, montrant une réalité qu’on préfère occulter pour ne pas bousculer notre confort, Avec Norm se bat contre l’indifférence, contre l’apathie, contre toute forme de distanciation, soumettant le spectateur à une rencontre bouleversante avec son inconscient. Réagir : voici le mot d’ordre que Boucher s’est donné.
Proposition d’autant plus accomplie grâce aussi à la mise en scène de René Richard Cyr que Robert Bellefeuille exécute due à l’absence justifiée du premier. L’espace claustrophobe d’un appartement confiné sert de décors à une vingtaine d’instantanés sur la vie de Normand, jeune écorché da la vie qui se débat comme il peut contre son isolement, se créant une amitié avec un Batman qui n’existe pas, se créant lui-même une sous-personnalité en Robin, l’acolyte du célèbre héros des bandes dessinées.
Mais Avec Norm, c’est aussi la magistrale interprétation de Benoît McGinnis, intègre, entier, s’accaparant la scène comme s’il s’agissait d’une seconde nature. Bouleversant, drôle, vulnérable et révolté à la fois, passant d’une registre à l’autre avec une grâce, une élégance et un sens du rythme extraordinairement coordonnés. La longue ovation debout est amplement méritée. Et face à lui, Muriel Dutil, impériale, Sandrine Bisson, d’une surprenante dextérité dans les gestes, les mouvements et la parole, et Éric Bernier, superbement efficace, pris entre l’attrait de l’autre et les responsabilités professionnels. Comme on s’y attendait, Avec Norm se conclue comme ça avait commencé. Norm, seul dans son appartement vit sa solitude et se résigne à l’accepte, et c’est sans doute inconscient, mais laissant chez le spectateur un sentiment d’impuissance, de fragilité et de déséquilibre, itinéraires angoissants , mais incontournables de la condition humaine. (★★★★)
DRAME SOCIAL | Auteur : Serge Boucher – Mise en scène : Robert Bellefeuille, en remplacement de René Richard Cyr – Décors : Réal Benoît – Accessoires : Normand Blais – Musique : Alain Dauphinais – Éclairages : Étienne Boucher – Costumes : Cynthia St-Gelais – Coiffures / Maquillages : Angelo Barsetti – Comédiens : Benoît McGinnis (Normand), Muriel Dutil (Tony), Éric Bernier (François), Sandrine Bisson (Nancy) | Durée : 1 h 30 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 13 avril 2013 – Théâtre du Rideau Vert .
COTES
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