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HOMMAGE > Arthur Lamothe | 1928-2013

20 septembre 2013

La disparition du grand documentariste Arthur Lamothe nous interpelle. D’une part parce qu’il s’agit d’une perte pour le cinéma québécois, mais aussi qu’il s’agit d’un cinéaste engagé qui a mené sa carrière en intégrant dans ses films son humanisme inné et un regard incisif sur la condition humaine inspiré par les époques qu’il a vécues. À l’instar des Pierre Perrault, des Magnus Isacsson ou encore des Michel Moreau, Lamothe se place dans un cinéma axé sur le vécu, témoin de son temps. Si son œuvre comporte quelques fictions, l’opus principal est composé de documentaires. Le prix Albert-Tessier qu’on lui attribue en 1981 confirme une fois de plus la pertinence de son combat cinématographique.

Plutôt que de lui rendre hommage comme le font la majorité des médias, nous avons préféré reproduire deux textes parus dans des anciens Séquences, question de faire un retour en arrière pour mieux comprendre la démarche du réalisateur.

>> Élie Castiel

POUR SALUER ARTHUR LAMOTHE

>> Léo Bonneville

Lors de l’ouverture de la 8e Semaine du cinéma québécois, le ministre des Affaires culturelles et des communications, Denis Vaugeois, a remis, pour la première fois, le prix Albert-Tessier, à un cinéaste québécois qui s’est fait remarquer par son œuvre. Le prix, concrétisé par une bourse de $15,000, a été attribué à Arthur Lamothe pour sa Chronique des Indiens du Nord-Est du Québec. Déjà couronné par le Prix de la critique québécoise, en 1977, cette vaste «saga» nous fait découvrir l’univers des Indiens avec ses difficultés et ses misères. En effet, cette double série de treize films nous présente, sans détour, les problèmes que doivent résoudre les Indiens pour conserver leur caractère propre et assurer leur survivance.

L’auteur a dû passer des mois et des mois chez les Montagnais pour les connaître, les apprécier, discerner leurs préoccupations et constater leur crainte de perdre leur identité. A la fin de cette Semaine du cinéma québécois, nous avons eu le plaisir de voir les trois derniers films de la 2e série, La Terre de l’homme, sous les titres Notre Terre, Ethnocide délibéré et Campement d’hiver où est tendu le filet. Si le premier film nous est apparu un peu trop didactique par les cartes, les schémas, les commentaires, les explications, par contre, le second nous a permis de voir comment les jeunes Indiens, intégrés à l’école des Blancs, se sentent peu à l’aise, inconfortables, pour ne pas dire méprisés par leurs compagnons. Et alors les jeunes comme leurs parents y vont de leurs griefs pour exprimer leur inquiétude et leur lassitude. Dans Campement d’hiver, nous suivons les chasseurs montagnais à la recherche du caribou. Non seulement nous admirons les remarquables troupeaux, mais nous assistons au dépeçage du caribou, à sa consommation comme à sa conservation. Et le film est d’un intérêt soutenu.

Arthur Lamothe a bien mérité des Indiens et des Blancs pour nous avoir reconstitué cette bouleversante aventure au pays des Montagnais. Nous ne sommes pas prêt d’oublier la poignante chanson qu’on entend à la fin du film Ethnocide délibéré, alors que les enfants chantent dans leur langue leur angoisse de savoir qu’ils ne seront jamais comme les Blancs et qu’ils ne seront pas non plus comme leurs ancêtres, ignorant leur vie dans les

grands espaces où ils apprenaient à communier avec la nature. Et le texte qui défile en français nous dit, dans toute son acuité, le drame de cette jeunesse…peut-être perdue.

Séquences : la revue de cinéma (n° 103, 1981, p. 25)

LE SILENCE DES FUSILS

TERRE EN TRANSE

Ce sont probablement ses études en économie politique qui, en partie, incitent le cinéaste Arthur Lamothe à se sensibiliser aux problèmes humains. Son cheval de bataille est la cause amérindienne. La presque totalité de son oeuvre y est consacrée. Il s’agit d’une thématique englobant la dépossession du territoire et la ségrégation raciale pratiquée par les Blancs. Ouvrier, bûcheron et homme de tous les métiers du cinéma, mais avant tout cinéaste, Arthur Lamothe mérite bien l’hommage que le journaliste Jean-Pierre Brossard lui rend dans  «Cinéma 76 », c’est-à-dire « … l’un de nos cinéastes à avoir le plus contribué à scruter l’aventure humaine ». Dix ans après Equinoxe, Arthur Lamothe fait un retour à la fiction avec Le Silence des fusils, oeuvre confirmant qu’encore aujourd’hui, les Amérindiens continuent à vivre sur une terre dont le sol est constamment agité. Le cinéaste nous offre une entrevue exclusive avant la sortie du film, prévue lors de la 20e édition du Festival des films du monde.

(propos recueillis par Élie Castiel)

Comment expliquez-vous le caractère paradoxal du titre du film?
À un moment, dans le film, le personnage du curé, incarné par Gabriel Gascon, déclare que « le silence des fusils sera plus éloquent que le bruit des balles». Cette proclamation indique l’approche non-violente du film. Par la même occasion, en tant qu’homme d’église, ce personnage montre qu’il est contre toute forme de brutalité. À son avis, et c’est aussi le mien en tant qu’être humain et cinéaste, c’est par la patience et le dialogue que les Amérindiens vont arriver à sortir de la situation dans laquelle ils se trouvent. Malheureusement, ce discours ne passe pas encore, mais je reste convaincu qu’il sera accepté un jour. Déjà, dans L’Écho des songes, mon film précédent, à travers le travail de quelques artistes amérindiens contemporains, je proposais une sorte de communication entre les autochtones et les Blancs. Je crois que les différentes cultures arrivent à dialoguer plus aisément à travers l’art. De cette façon, il est plus facile de trouver un terrain d’entente.

Est-ce que vous classifieriez votre cinéma comme étant engagé ou d’intervention, ou les deux à la fois?
Je n’aime pas les épithètes qu’on attribue souvent aux films. Je fais simplement du «cinéma», un point c’est tout. Quel que soit le genre, fiction ou documentaire, on parle à travers les images, les sons, les paysages et les impressions. Par contre, je dois avouer que par le biais de la fiction, on peut souvent être plus convaincant que dans le documentaire. Il y a le côté dramatique qui joue énormément.

Depuis quand vous intéressez-vous à la question amérindienne?
J’ai un peu répondu à cette question dans Mémoire battante. En 1953, lorsque j’ai tâté du métier de bûcheron en Abitibi, j’ai pris conscience de l’exploitation des Amérindiens par les Blancs en observant ce qui se passait autour de moi. Là où je travaillais, il y avait d’un côté les Blancs, de l’autre, à l’écart, les Amérindiens. Petit à petit, je me suis aperçu que les autochtones avaient leur propre culture et qu’ils tenaient à conserver leur dignité humaine. Je croyais également que personne, ni au Québec, ni au Canada, ne s’intéressait à leur sort, sauf peut-être un petit groupe, bien entendu, et qu’en plus, on les méprisait. Je me suis dit qu’il fallait qu’on apprenne à les connaître, à mieux les comprendre. Il fallait briser le mur du silence qui existait. Il existe, certes, un rempart infranchissable entre la communauté anglophone et la francophone, mais celui entre les Canadiens et les Amérindiens me semble encore plus terrible.

Avez-vous eu des difficultés à faire accepter vos opinions, d’autant plus que vous êtes d’origine étrangère, bien que québécois d’adoption?
La réponse à cette question se trouve dans Le Silence des fusils, lorsqu’un des personnages dit clairement que «… les étrangers sont les bienvenus, à condition qu’ils ne se mêlent pas de nos affaires ». Cette remarque est faite à Jean-Pierre Lafond, un étranger venu au Québec pour oeuvrer dans la recherche, incarné dans le film par Jacques Perrin, lui-même un étranger. C’est aussi un clin d’oeil à ma condition de cinéaste venu d’ailleurs pour brasser la cage au Québec. Et cela, les gens ne l’acceptent pas, mis à part quelques exceptions. Ce que j’ai toujours essayé de faire, c’est de toucher émotivement les gens qui sont sensibles. Les Indiens ne se sentent pas opprimés, mais plutôt victimes de ségrégation. Il fallait que des voix se fassent entendre.

Comment le choix de Jacques Perrin s’est-il imposé?
Étant donné que le film est une coproduction avec la France, il fallait absolument un acteur français pour le rôle principal. Le personnage qu’il est censé incarner est celui de Jean-Pierre Lafond, un étranger qui, grâce à son fils et à son sens de l’observation, va découvrir certaines vérités que la plupart des gens d’ici occultent le plus souvent. J’ai fixé mon choix sur Jacques Perrin, d’abord parce que c’est un acteur formidable qui s’investit toujours dans ses rôles, ensuite parce qu’il possède le physique de l’emploi. C’est-à-dire qu’il n’est pas fonceur, mais plutôt sensible. Il va devoir passer par un cheminement aussi bien affectif qu’intellectuel avant de prendre position. À priori, il était question d’embaucher Richard Bohringer ou Jean-François Stévenin. Mais en les voyant, j’ai tout de suite compris qu’il aurait fallu changer certains éléments du scénario concernant le personnage de Jean-Pierre. Bohringer et Stévenin ont le physique robuste, déterminé. La touche psychologique du personnage aurait disparu si j’avais donné le rôle à l’un d’eux.

Et le reste des comédiens, je parle des Amérindiens, sont-ils amateurs ou professionnels?
Les comédiens amérindiens, y compris Michèle Audette, sont tous des amateurs, mis à part Marco Bacon (Mike) qui a déjà fait des apparitions dans quelques films. C’est la première fois que les autres s’expriment devant la caméra. Ils sont d’ailleurs tous magnifiquement convaincants.

Avez-vous tenu à conserver la langue originale des Amérindiens?
Oui, absolument. Lorsque les Amérindiens s’expriment entre eux, j’ai tenu à conserver cette touche de réalisme en leur faisant parler leur langue. Les spectateurs auront recours aux sous-titres français. Par contre, lorsque le dialogue s’établit entre les Amérindiens et les Blancs, c’est le Français comme langue qui prime.

Après tant d’années à faire des films sur les Amérindiens, avez-vous appris leur langue?
Malheureusement pas. Je connais à peine trois ou quatre cents mots. Cen’est pas assez.

Avez-vous eu des difficultés à diriger les comédiens, particulièrement les non-professionnels?
Pas du tout. Tous ceux qui ont participé au film se sont montrés patients et intelligents. Leur attitude a été irréprochable et d’une grande maturité. Il faut dire que tout le monde était épris du sujet. Il leur tenait à coeur. Jacques Perrin, quant à lui, est d’un professionnalisme remarquable et il a cru tout de suite au projet. Je voudrais également ajouter que c’est Mathieu Perrin, son fils dans la vie, qui joue le rôle de son fils dans le film. Par contre, nous avons dû le doubler parce que nous tenions à ce qu’il adopte un accent québécois.

Les voix du groupe musical Kashtin sont très présentes dans le film.
Ce sont de grands amis à moi. Ils tenaient à participer au film. Et je crois bien que la bande sonore s’incorpore assez harmonieusement à la trame narrative.

Par vos propos, vous semblez très satisfait de ce retour à la fiction. Comptez- vous continuer dans cette voie?
Absolument. J’ai l’intention de laisser de côté le documentaire, du moins temporairement. J’ai deux projets de fiction. Je tiens à les réaliser. Les deux idées de scénario que j’ai en tête ne traiteront pas de la question amérindienne, mais il y aura tout de même des personnages amérindiens qui apparaîtront.

Avec Le Silence des fusils, vous faites un retour à la fiction après dix ans d’absence, éloignement ponctué de l’accueil plutôt froid réservé à Équinoxe.
Sur le coup, ça m’a fait très mal. Mais avec le temps, on s’habitue aux échecs. Dans Équinoxe, il y avait des personnages crédibles, de beaux paysages, une vision, mais malheureusement un scénario à peine ébauché, un petit budget, et des conditions de travail épouvantables.

Cette fois-ci, vous me semblez sûr de votre coup!
Oui, cette fois-ci, je pense que le scénario est bon et les comédiens convaincants, que l’action est là, et que la structure se tient.

Séquences : la revue de cinéma (n° 185, 1996, p. 14-17)

AUTRES LIENS : http://id.erudit.org/iderudit/51652ac et http://id.erudit.org/iderudit/51293ac

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