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HOMMAGE > Patrice Chéreau | 1944-2013

9 octobre 2013

L’HOMME BLESSÉ

Texte : Élie Castiel

Pourquoi avoir choisi le titre d’un de ses films. Tout simplement parce que Patrice Chéreau a été « blessé par la vie ». À tel point qu’elle s’en est emparée, laissant le milieu du théâtre, de l’opéra et du cinéma en deuil. Nous ne retracerons pas sa féconde et fulgurante carrière car les nouvelles technologies permettent de consulter une multitude d’articles à ce sujet.

Nous nous souviendrons plutôt du cinéaste de L’Homme blessé (1983), La Reine Margot (1994), Ceux qui m’aiment prendront le train (1998) et Son frère (2003), quatre œuvres où l’esprit de la mort rôde parfois en sourdine, par moments de façon extrovertie, mais toujours présente. Pour la contrecarrer, une esthétique de l’image et une formulation narrative qui situent les personnages dans des sphères existentialistes.

Chez Chéreau, chaque discipline, qu’il s’agisse du théâtre du cinéma ou de l’opéra, correspond à des codes précis, à des structures et des constructions formelles qui se créent selon une expérience de vie. À l’instar de Jean-Luc Godard, Stanley Kubrick, David Lynch ou autres Peter Greenaway et John Cassavetes, Chéreau assume son statut d’auteur comme un acte de dévotion, une sorte de « guide de vie ». Une façon comme une autre d’exister.

Mais il y a aussi l’opéra dont l’œuvre suprême restera son adaptation avant-gardiste du Ring (1976), la tétralogie de Richard Wagner, le plaçant parmi les metteurs en scène les plus innovateurs de l’époque. Comme comédien, on le voit dans une dizaine de productions, notamment dans Danton d’Andrzej Wajda et Adieu Bonaparte du regretté Youssef Chahine.

Discret, conscient de l’importance de son œuvre, préférant la qualité à la quantité, il saisit le moment opportun avant de se lancer dans un projet, quelle que soit la discipline. Suivre sa carrière dans toutes ses formes, c’est également s’accrocher et se laisser séduire par un regard original et singulier de l’art et de la vie.

À l’automne 2012, il monte seul sur la scène du Théâtre du nouveau monde pour risquer le tout pour le tout dans le spectacle minimaliste et austère, Coma. Avec le recul, le texte de Pierre Guyotat s’avère annonciateur, comme si à partir de ce moment, la vie du comédien commençait à s’éteindre par étapes.

Avec la disparition choc de Patrice Chéreau, la transition entre une certaine vision du cinéma moderniste et les nouvelles tendances, autant éclatées que pluralistes et souvent survoltées, se fait de plus en plus étroite, confirmant que les temps changent et que l’art, produit d’une activité humaine et son résultat, est un phénomène éphémère.

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