16 novembre 2013
Le bordel en question est connu comme Le Grand Balcon. Dehors, la révolution gronde, indéfectible. Le changement social devient de plus en plus pressant. Parmi les clients attitrés de la « maison d’illusion », un évêque, un juge, un général livrent leurs perversions les plus secrètes. Cette hiérarchie de titres illustrent le drame de la bourgeoisie, les excès du pouvoir en place et la crise des valeurs.
Pour Jean Genet, auteur iconoclaste, autodidacte, c’est sans doute son aventure dans l’assistance publique, sa délinquance et son homosexualité assumées qui ont contribué à la richesse de son œuvre. Des écrits qui remettent en question l’organisation de la pensée, ouvrent de nouveaux horizons à la notion de liberté et expriment une autonomie extrême, sans compromis.
Au même titre que Les Paravents et Les Nègres, la marginalité et au centre de ce que constitue Le Balcon, œuvre sulfureuse, à la limite de l’anti-théâtre, expérimental dans la manipulation de la parole et des situations. Avec ce matériau en main, aussi sensuel que transgressif et transcendant, René Richard Cyr, tel un Serge Denoncourt, s’approprie le texte pour mieux le situer au présent. Sa mise en scène ne succombe guère aux compromis. L’espace lui appartient et ses comédiens s’y glissent pour que leurs personnages demeurent mémorables afin que leur immoralité, leur cynisme et leur licence soient retenues comme des charges sociales. La catharsis, telle une tragédie grecque, recouvre la pensée du génie de Genet, nous forçant à nous réapproprier l’espace sociale et politique.
Entre le metteur en scène et les comédiens, un étrange rapport qui place les spectateurs dans l’inconfort. C’est intentionnel et c’est cela qui rend la pièce aussi magistrale que sublime. Contrairement à d’autres œuvres du répertoire classique de la modernité, celle-ci n’a pas eu droit à une forte ovation debout le soir où nous avons assisté. C’est sans contredit dû aux blessures intellectuelles qu’elle provoque, à l’émoi, à la désorientation qu’elle suscite.
Le décor de Pierre-Étienne Locas invente des petits univers de huis clos où la tendresse n’a pas droit de cité. Elle est remplacée par le fantasme, le goût pour la chair, une sexualité illusoire. Les costumes de Marie-Chantale Vaillancourt s’adaptent à ce milieu interlope, cette faune bigarrée composée des personnages surréalistes. L’éclairage est tantôt sombre, et soudain lumineux, comme s’il ne fallait rien cacher. Ses va-et-vient incessants entre un sketch et l’autre accentuent la tension, animent les passions. Beau travail de Erwann Bernard. Idem pour les maquillages, les perruques et l’ensemble des accessoires.
Aussi étrange qu’elle puisse paraître, Le Balcon demeure une des plus belles réussites de Genet. Et René Richard Cyr lui rend, par sa mise en scène éclatée, bordélique et dans le même temps contrôlée au millimètre près, un des plus beaux et émouvants hommages.
DRAME | Auteur : Jean Genet – Mise en scène : René Richard Cyr – Décors / Scénographie : Pierre-Étienne Locas –Éclairages : Erwann Bernard – Costumes : Marie-Chantale Vaillancourt – Trame musicale : Alain Dauphinais – Comédiens : Éric Bernier, Stéphane Breton, Sonia Cordeau, Kim Despatis, Benoît Drouin-Germain, Bernard Fortin, Marie-Thérèse Fortin, Marie-Pier Labrecque, Simon Lacroix, Roger La Rue, Julie Le Breton, Macha Limonchick, Bruno Marcil, Vincent-Guillaume Otis, Denis Roy | Durée : 1 h 50 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 30 novembre / Supplémentaire le 3 décembre 2013 – TNM.
COTES
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