4 février 2014
L’acteur fétiche de Paul Thomas Anderson, Philip Seymour Hoffman, est mort. En quelques apparitions furtives (Scent of A Woman, The Big Lebowski, Magnolia, Hard Eight), cet acteur de théâtre marque très tôt l’esprit des spectateurs. Avec son physique résistant aux critères de la beauté bankable, il ne tient qu’à de très rares occasions un premier rôle (Capote, pour lequel il a été récompensé d’un Oscar). Cantonné aux seconds, Hoffman trace pourtant une des trajectoires des plus singulières chez les acteurs américains des vingt dernières années. Alors que trop de ses confrères se complaisent dans des automatismes de jeu lassants, Hoffman prend des risques, ne cesse de réinventer son jeu, toujours lui insufflant une nuance, une variation ‒ ses performances en 2007 dans Charlie Wilson’s War et The Devil Knows You Are Dead sont à cet effet deux exemples saillants. Transformiste de génie ‒ Monsieur Oscar dans Holy Motors, c’est un peu lui‒ il peut tout jouer, tout incarner. Pour preuve, il sera à la fois Lester Bangs (Almost Famous) et Truman Capote (Capote), un travesti (Flawless), un technicien du porno (Boogie Nights) ou encore un prête accusé de pédophilie (Doubt).
Oscillant entre petits (Happiness) et plus grands projets (Mission Impossible III, The Master), entre la comédie (Charlie Wilson’s War) et le drame (Love Liza, The Devil Knows…), Philip Seymour Hoffman appliquait à chacun de ses rôles une dose considérable de fragilité humaine. Il avait cette capacité de se mettre à nu comme très peu de comédiens peuvent se commettre. Il suffit de regarder ses prestations dans Happiness (à coups de longs plans fixes, son personnage confesse ses frustrations sexuelles) ou dans Boogie Nights. On avait toujours l’impression avec Hoffman que le tragique s’agitait à chaque recoin du plan, que ses personnages risquaient de succomber à leurs démons intérieurs et à leur désespoir à tout moment.
Cette fragilité humaine qu’aurait tant plu à un cinéaste comme John Cassavetes est aussi sûrement ce qui a été le moteur de sa création (« acting is torturous » selon ses propres mots). Et malgré les reconnaissances de son talent, les succès, les projets multiples (une deuxième réalisation était prévue après son discret Jack Goes Boating, une série comique chez Showtime dont il avait filmé le pilot) et la galerie de personnages qu’il aura su composer ces deux dernières décennies, rien n’est parvenu à lui faire oublier ses démons les plus intérieurs. Sa rechute dans les paradis artificiels aura été sans réveil en ce tragique dimanche 2 février. À la suite de l’annonce de sa mort me revient en souvenir cette dernière scène réunissant Lancaster Dodd et Fredie Quell dans The Master (son dernier film sorti en salle) de Paul Thomas Anderson. L’heure est aux pleurs, à la tristesse, aux adieux entre les deux personnages… Magnifiquement filmée, terrassante d’émotion, cette scène prend une toute autre dimension aujourd’hui.
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