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L’Absence de guerre

28 avril 2014

LA PERCEPTIBLE SÉDUCTION DU POUVOIR

Élie Castiel
CRITIQUE
★★★★ ½

Étrangement, le cinéma dit « sérieux » repose rarement sur le message du film ; au contraire, on s’attarde en général sur le côté formel et les effets de style. Le théâtre, lui, suit toujours un parcours traditionnel en demeurant un miroir du monde, avec ses heurts, ses faiblesses, ses côtés resplendissants, ses déboires et ses affinités.

Si message il y a, c’est bien dans L’Absence de guerre, lumineusement mis en scène par Édith Patenaude, inspirée par l’écrit de David Hare (Oscar du meilleur scénario pour The Hours, de Stephen Daldry) et par la traduction magnifiquement adaptée à un environnement québécois de David Laurin.

Est-ce un hasard si la pièce est présentée à La Licorne peu de temps après les élections provinciales et les résultats qui ont semé tant de controverse ? Toujours est-il que nous sommes dans le milieu politique britannique peu de temps avant les Élections. Les Travaillistes contre les Conservateurs. De ces derniers, nous assistons à quelques mots de son représentant Kendrick émis sur un écran télé. L’équipe des travaillistes sont les principaux acteurs, d’un naturel désarmant, parfaitement en maîtrise d’un texte actuel, corrosif, stimulant, empreint de répliques assassines, cyniques, malicieuses, mais dans le même temps d’une logique implacable.

Parler du monde et de son état actuel est le rôle de tout art de la représentation. Le théâtre, depuis les tragédies grecques s’est fait le porte-parole idéal pour un public avide de se voir sur scène. Édith Patenaude, sur ce plan, a eu la merveilleuse et intelligente idée de placer la scène au milieu de la salle, entre deux espaces pour le public, l’un à gauche, l’autre à droite. De cette stratégie scénique, le spectateur participe à l’action, a accès direct et intime aux comédiens et, mine de rien, se sent complice d’un récit sur la séduction du pouvoir d’une force magnétique.

Tout est raconté selon une approche réaliste, voire même naturaliste. Les luttes internes, les hypocrisies, les gestes de dévouement, l’aveuglement devant la course au pouvoir, tout est là devant les spectateurs, tous atteints par les des événements politiques récents.

Aucun moment mort. L’action ne s’arrête jamais. Les champs/contrechamps défilent à un rythme extraordinaire. Chaque comédien alimente l’autre. Les langues se délient. La salle de spectacle n’a jamais été aussi animée, tant du côté de la scène que de celui des spectateurs. Sans doute la meilleure proposition de La Licorne cette année.

Nous sortons ainsi de L’Absence de guerre étourdis, un peu désorientés, et tant mieux car dans le même temps richement nourris d’une brillante et éloquente leçon de politique qui nous colle à la peau comme un vêtement parfaitement taillé sur mesure.

[ DRAME POLITIQUE ]
Texte :
David Hare – Traduction : David Laurin, d’après The Absence of War Mise en scène : Édith Patenaude – Décors : Gabrielle Arsenault – Costumes : Maude Audet – Éclairages : Jean-François Labbé – Musique : Mathieu Campagna – Vidéo : Vincent Champoux, Marilyn Laflamme – Comédiens : Marc Auger, Normand Bissonnette, Vincent Champoux, Jean-Michel Déry, Gabriel Fournier, Laurie Thériault, Andrée Samson, Alexandrine Warren  – Production : Les Écornifleuses, Le Théâtre du Trident, en codiffusion avec La Manufacture | Durée : 2 h 40 (1 entracte) – Représentations : Jusqu’au 9 mai 2014 – La Licorne.

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) (Mauvais) 0 (Nul) ½ (Entre-cotes)

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