16 mai 2014
De cette version des Innocentes, 65 ans après sa première en 1949, inaugurant le Théâtre du Rideau Vert, on retiendra autant sa simplicité que sa remarquable texture conceptuelle. Cette structure plutôt stratégique aide énormément à passer d’une scène à l’autre, faisant de la notion de transition un mouvement naturel, ne demandant aucun effort. Et pourtant !
De Lillian Hellman, la dramaturge-scénariste-actrice, il s’agit de son texte le plus connu, celui qui a incité le réalisateur William Wyler à signer une excellente version cinématographique, La Rumeur, en 1961, avec en vedettes, Audrey Hepburn et Shirley McLaine, ainsi que James Garner dans le rôle du docteur Cardin. Pour l’histoire, ce fut un échec commercial.
La raison ? Sans doute un regard, pour l’époque, trop favorable et dénué de jugement face à l’homosexualité. Entre 1949 et 1961, les choses ne semblent pas avoir changé. Comment peut-ont alors percevoir Les Innocentes aujourd’hui, à un moment où les différentes formes de sexualités sont de plus en plus acceptées, ou selon l’endroit du monde, tolérées ou même encore punies dans certains pays) ?
Il est important de rappeler que malgré les acquis, tout n’est pas gagné et l’homophobie est toujours un sujet de débat, de discussion et de lutte. Les récentes manifestations en France, terre de Liberté, d’Égalité et de Fraternité, et ailleurs, en sont un exemple frappant. C’est donc avec un esprit frondeur que le TRV a pris la décision de présenter l’œuvre de Hellman comme une pièce de résistance sociale, voire même de déclaration politique, pour clôturer sa saison.
Mais revenons au travail de René Richard Cyr. Du coup, il s’approprie le texte de la dramaturge américaine, en suit les divers mouvements avec respect, mais propose dans le même temps une mise en scène totalement intégrée à l’époque où se déroule le récit. Ce refus de modernisation est justement ce qui plonge le spectateur dans le désarroi, dans une confusion qui le met paradoxalement à l’aise, alors que ces dernières années, il a été habitué aux nombreuses tentatives de décomposition de la mise en scène souvent gratuites.
Au contraire, ces effets parfois éphémères sont vus ici comme néfastes. Cyr se permet avec une candeur époustouflante, voire même une saine ironie, d’imposer un cadre narratif à la limite du traditionnel, évoquant par moment un certain cinéma minimaliste d’Alain Cavalier avec son décor désincarné ; il a également ici un regard sur la vie et une vision sur la sexualité totalement dépollués de tous ces affects de notre époque. Un vrai vent de fraîcheur !
Et c’est au diapason de la mise en scène que les comédiennes jouent leurs rôles. Elles sont toutes impeccables, tous âges confondus, même si Catherine Leblond (Marie Tilford) et Sylvie Drapeau (Lily Morter) se surpassent, faisant de leurs personnages pervers et faussement innocents, ceux par qui le scandale arrive.
Il est indéniable que trois grands metteurs en scène dominent la saison théâtrale montréalaise 2013-2014 : Serge Denoncourt et ses magnifiques Liaisons Dangereuses, Robert Lepage et son incontournable Les Aiguilles et l’Opium, et René Richard Cyr. Ce dernier termine la saison du TRV avec éclat, ouverture sur la différence et un regard librement fascinant sur le monde.
[ DRAME ]
Auteur : Lillian Hellman – Traduction : André Bernheim – Mise en scène : René Richard Cyr –Scénographie : Josée Bergeron-Proulx – Accessoires : Alain Jenkins –– Éclairages : Erwann Bernard – Costumes : Cynthia St-Gelais – Musique : Alain Dauphinais – Comédiens : Rose-Maiïté Erkoreka (Karen Wright), Sylvie de Morais (Marthe Dobie), Catherine Leblond (Marie Tilford) Andrée Lachapelle (Amélia Tilford), Néfertari Bélizaire (Agathe), Philomène Lévesque-Rainville (Peggy Rogers), Véronic Rodrigue (Rosalie Wells), Sylvie Drapeau (Lily Morter), Sarah Laurendeau (Evelyn Moss), Christine Goyer (Helen Burton), Samuël Côté (Joseph Cardin) | Durée :1 h 40 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 31 mai 2014 – Théâtre du Rideau Vert.
MISE AUX POINTS
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