22 juillet 2014
Le Cyrano de Serge Denoncourt est une pure merveille, un moment de théâtre inoubliable. Évitons les superlatifs recherchés et exprimons notre avis avec les mots du cœur, les plus sains, les plus vrais, les plus sensibles, ceux qui résonnent comme les 1600 vers que contient le texte d’Edmond Rostand, de purs joyaux de la langue française.
Jamais expérience théâtrale ne fut aussi totale, non seulement en rapport avec le récit, une déchirante histoire d’amour, mais dans la forme, une mise en scène magistrale soutenue par un homme pour qui l’art dramatique, les planches et les comédiens sont une façon de vivre, un moyen de s’exprimer sur le monde et la vie.
Serge Denoncourt ne finit pas de nous étonner. Et lorsqu’il joint à son expérience fabuleuse, raffinée, sophistiquée et d’une grande intelligence d’esprit quelqu’un aussi digne que Patrice Robitaille, le tout se transforme en un spectacle grandiose, intemporel, renouant avec une théâtralité souvent mise de côté par cette frénésie du moment qu’est l’adaptation moderne. Par les temps qui courent, cyniques, je-m’en-foutistes, désincarnés, voir un spectacle comme Cyrano de Bergerac, c’est comme faire un retour à un passé glorieux, à une idée du spectacle théâtral qui a affaire avec le regard, avec la distance nécessaire entre la scène et les spectateurs. Car jouer, c’est avant tout aller au-delà du réel, c’est imaginer un monde qui nous échappe, mais qui en même temps s’accorde à nos désirs et les transcende pour mieux nous valoriser. Denoncourt l’a compris et nous offre, jusqu’ici, l’aventure scénique la plus excitante de l’année.
Patrice Robitaille fait vibrer tous ses sens, et tout particulièrement ceux de l’âme et du cœur. Épris aveuglement de sa cousine Roxane qui, elle, voue un amour partagé à Christian (très bon François-Xavier Dufour), Cyrano triomphe à la fin pour la simple raison que la vérité apparaît finalement au grand jour et qu’ainsi l’amour triomphe sur l’absence et le temps.
Mais Cyrano de Bergerac est surtout une œuvre sur l’art d’interprétation et dans ce sens, le comédien conquiert la scène, la fait sienne et livre une performance électrisante. Et que dire de la direction artistique ? Les décors de Guillaume Lord, multi-fonctionnels s’adaptent à toutes les situations. Entre une taverne éclairée aux bougies, une scène dans la scène et une rue de village, en passant par un champ de bataille, la mise en situations invite l’œil observateur, renouant ainsi avec l’idée que le théâtre est aussi un art de la perspective.
En Roxane, Magalie Lépine-Blondeau brille beaucoup plus dans un registre dramatique que comique, moins nuancé. Entre un rôle ingrat et une interprétation grandiose, Patrice Robitaille donne au théâtre un sens qu’on avait depuis un certain temps perdu de vue. La carte du tendre n’a jamais été bien tracée, avec autant de fougue, d’exubérance et de folle passion. Sans oublier la musique originale de Philip Pinsky qui s’accorde harmonieusement aux situations, tantôt solennelle, tantôt familière.
Un spectacle total, lumineux, à ne rater sous aucun prétexte.
[ DRAME ROMANTIQUE ]
Auteur : Edmond Rostand – Mise en scène : Serge Denoncourt –Décors : Guillaume Lord – Accessoires : Julie Measrroch – Éclairages : Étienne Boucher – Costumes : François Barbeau – Musique : Philip Pinsky – Comédiens : Patrice Robitaille (Cyrano), Magalie Lépine-Rondeau (Roxane), François-Xavier Dufour (Christian), Frédérick Bouggard (Valvert), Luc Bourgeois (Le Bret), Samuël Côté (Brissaille), ainsi que Annette Garant, Frédéric-Antoine Guimond, Agathe Lanctôt, Normand Lévesque, Daniel Parent, Gabriel Sabourin et Lénie Scoffié – Production : Cyrano de Bergerac Inc., en collaboration avec le TNM et Juste pour rire | Durée : 3 h 20 (1 entracte) – Représentations :Jusqu’au 23 août 2014 – Théâtre du nouveau monde.
MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel) ★★★★ (Très Bon) ★★★ (Bon) ★★ (Moyen) ★ (Mauvais) ½ (Entre-deux-cotes)
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