16 novembre 2014
Contrairement aux ressortisants Français (et Juifs, selon le pays) du Maroc et de la Tunisie, deux autres territoires maghrébins, ceux de l’Algérie, les ainsi nommés Pieds Noirs ne cessent de remettre en question la rupture algérienne. Comme s’il s’agissait d’exorciser un passé colonial qui n’ose dire son nom.
Lorsqu’on choisit de se questionner sur cette période à la fois douce et amère, nostalgique et envenimée, par l’entremise des écrits d’un des représentants les plus dignes de ces années de plomb, la proposition ne peut paraître que séduisante. La position d’Albert Camus devant la crise algérienne est non seulement complexe, mais bercée par un sentiment d’appartenance à une terre hospitalière tout d’un coup (et à juste titre) nourrie d’une urgence de se libérer. Et c’est dans cet esprit de révolte que Camus n’est plus l’intellectuel aguerri, mais l’homme, sensible aux mouvements incontournables de l’Histoire qui se fait, qui l’oblige à remettre en question ses convictions, son idéologie, ses multiples ramifications face une idéologie libératrice qui n’a d’autre choix que de se réaliser.
C’est avec Le Premier Homme, roman inachevé, et dont le cinéaste Gianni Amelio a réalisé une superbe adaptation en 2011, avec un Jacques Gamblin hallucinant de vérité, que le Camus politique se fait sentir. Entre un attachement patriotique et surtout viscéral à la France et un amour inconditionnel à sa terre natale, l’auteur-culte ne peut s’empêcher de subir les tourments de l’incertitude et du désespoir de l’exil.
C’est cette crise existentielle à double tranchant qu’aborde Jean-Marie Papapietro, lui-même ayant passé son enfance et son adolescence en Algérie française. Son essai exutoire n’est pas seulement du théâtre-documentaire, certes, puisque quelques documents d’archives projetés sur une mur de briques nous révèlent des vérités que certains voudraient oublier, mais c’est aussi une mise en abyme sur le spectacle et de la vie et du théâtre. En somme, la pièce de Papapietro est un véritable et énigmatique work-in-progress qui, à l’instar du dernier opus camusien, demeure à l’état d’ébauche, incomplet. Et c’est cette caractéristique qui en fait sa sublime originalité. Il y a là un risque à courir et que le metteur en scène, celui de la pièce et celui dans la pièce, assument avec une incroyable et contagieuse sérénité.
Sur scène, cinq personnages, cinq voix qui explorent Camus, le racontent, le vivent et le lancent aux spectateurs comme une proie qui aurait perdu d’avance. La mise en en scène de Papapietro explore et manipule cette tension avec une mainmise équilibrée axée sur la notion de la dialectique, le raisonnement devenu action et la logique se perdant au nom de l’émotion.
Hautement intellectuelle, mais écrite dans une langue relativement accessible, L’Énigme Camus : Une passion algérienne n’est pas un titre choisi au hasard, mais c’est surtout et avant tout une proposition esthétique est engagée d’une richesse d’observation à la fois humaniste et bouleversante. Et pour les spectateurs qui ont connu cette époque, même un peu de loin et à un âge de fin d’enfance où tout se devine, il s’agit-là d’un périple nostalgique qui, temps qui passe oblige, laisse un goût de profonde accalmie.
[ ESSAI POLITIQUE ]
Texte/Mise en scène : Jean-Marie Papapietro – Décors/Accessoires/Costumes : Romain Fabre– Éclairages : Martin Sirois – Montage vidéo : Sébastien Godron – Comédiens : Roch Aubert, Mohsen El Gharbi, Gaétan Nadeau, Christophe Rapin, Philippe Régnoux, et la participation spéciale d’Armande Tremblay – Création : Le Théâtre de Fortune, en codiffusion avec Le Théâtre Denise-Pelletier | Durée :1 h 35 approx. (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 29 novembre 2014 – Théâtre Denise-Pelletier (salle Fred-Barry).
MISE AUX POINTS
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