6 décembre 2014
En ce qui nous concerne, c’est la première fois que nous assistons à ces Contes urbains. La version 2014 traduit des histoires de vies intimes, de rêves non réalisés, de quotidiens routiniers, de rapports hommes-femmes. Mais avant tout, c’est le concept qui compte, celui de l’oralité, de ce besoin de se faire raconter des récits souvent banals mais réconfortants, extraordinaires, ne serait-ce que pour satisfaire notre soif de curiosité, aussi bien pour notre égo que pour notre rapport complexe au monde et à la société. Pour démontrer, en fin de compte, qu’on existe.
En tout, huit contes humanistes dits par huit femmes, dont cinq sont écrits par des hommes. Il y a là un raisonnement politique et sociétal d’une bouleversante acuité. La mise en scène, confiée à Brigitte Poupart, définit l’espace théâtral comme un passage souterrain ouvert aux multiples possibilités et d’où l’on retient ce que l’humain peut avoir à la fois de sublime et de mesquin.
Il y a Le Joyeux Noël de Sophie où Diane Lavallée prend conscience de ce qui vient de se passer. Mais que s’est-il vraiment passé ? Les mots de Stéphane Jacques sont déchirants par leur franchise et leur pugnacité. Et puis Snob ? alors que Brigitte Poupart retrouve l’innocence perdue à travers les mots de Stéphane Lafleur, d’une plume aussi accessible que désespérée devant le qualificatif «bon goût» et son antonyme «snob».
On poursuit avec Prédateur. Tandis que Christine Germain mesure ses paroles, Léa Simard assume la peur et la soumet à une cure de réhabilitation. Noël à la vie donne l’occasion à Martine Francke de se créer une fête du mieux vivre et se raconter à soi-même que les souvenirs aussi troublants qu’ils soient, peuvent se solidifier en meilleurs moments.
Dominique Quesnel, dans Tout ce qu’y donne se brise, emploie les paroles de Justin Laramée pour parler du cœur et de ses déraisons, au nom sacré de l’amour. Et puis, dans Moé c’est ça Noël, Michelle Blanc, l’auteur et blogeuse montréalaise transsexuelle assume avec ses propres mots son intériorité libératrice avec un étonnant réalisme. Consciente qu’elle n’est pas comédienne, la scène devient pour elle une sorte de laboratoire expérimental où une âme en peine, blessée par un vécu aussi tragique que fascinant, finalement s’épanouit. Un des clous de la soirée.
Marcel Pomerlo fait dire à Sandrine Bisson des mots qui, dans Obélisque (La Fille de Francine), traduisent concrètement la peur. Une histoire de fiction où le dit s’avère d’un visuel cinématographique presque romanesque. Un autre moment fort de la soirée. Et puis Cocaline, d’Yvan Bienvenu, confirmant avec grâce et doigté le registre virtuose d’une France Arbout impériale, souveraine, simplement exceptionnelle. Sans aucun doute, la meilleure performance de la soirée. Elle parle de sexe et de vie, de séduction et de fausses promesses, d’attrait et de rejet. Mais surtout de la prise de conscience que la vieillesse n’est pas une étape tendre dans la vie. Bouleversant de justesse et de vérité.
En somme, des vies qu’on croit heureuses, mais qui se compliquent parce que le vécu est ainsi fait. Ces Contes urbains, nous en avons grand besoin, ne serait-ce qu’une fois par année. Pour nous aider à mieux vivre.
[ CONTES ]
Auteurs : Yvan Bienvenue, Michelle Blanc, Chantal Cadieux, Christine Germain, Stéphane Jacques, Stéphane Lafleur, Justin Laramée, Marcel Pomerlo – Mise en scène : Brigitte Poupart – Régie : Sonia Montagne – Comédiennes : France Arbour, Sandrine Bisson, Michelle Blanc, Martine Francke, Diane Lavallée, Brigitt Poupart, Dominique Quesnel, Léa Simard | Durée : 2 h 15 approx. (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 20 décembre 2014 – La Licorne
MISE AUX POINTS
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