6 décembre 2014
Suite à Baiseries (2010) et Ménageries (2012), Jean-Philippe Baril Guérard poursuit sa guerre des tranchées en rapport avec les mœurs contemporaines. Son écriture, toujours acerbe, vitriolique, rompant avec la normalité envahissante et le comportement politiquement correct devenu la norme, déconcerte les puristes, désarme le simple amateur et satisfait une grande partie des spectateurs, particulièrement ceux de sa génération, jouissant pour ainsi dire d’une popularité critique grâce surtout à son cran incontrôlé, sa gouaille délirante et son sens inné de la provocation. Car avec Tranche-Cul, titre de surcroît séditieux, n’arrête le dramaturge intransigeant.
L’espace de mise en scène est au même niveau que la première rangée de la salle, plaçant le spectateur sur une corde raide. Plus encore, chaque comédien est assis quelque part dans une des quatres marches se faisant face à face, comme s’il s’agissait d’un simple spectateur.
Après la sortie intempestive du premier intervenant, le second se lève, fait son monologue et laisse la place au prochain. Cette proximité presque incestueuse avec le spectateur dénote une approche du théâtre collectif et dans le même temps complice. Les monologues (et quelques dialogues) sont soumis aux lois du langage ordinaire où il est parfois difficile de bien saisir la signification. Baril Guérard sait exactement de quoi il parle, et sur ce point, il réussit à épater la galerie. Dans le dossier de presse, il est indiqué que « Tranche-Cul est un miroir grossissant à la suprématie de l’éditorial. Le droit à tous d’avoir une tribune ne signifie pas le droit de tout dire dans l’espace public… »,
Certes, c’est de cela dont il est question. Nous assistons, parfois même bouche bée, à une avalanche de paroles sans suite logique, sauf peut-être dans quelques cas. Ici, la pièce s’harmonise à son propos avec assurance. Surréaliste, surmenée et poussé par un profond désir d’antagonisme aux codes de la théâtralité, Tranche-Cul se crée son propre univers dramatique, contestataire, en parfaite symétrie avec une génération qui, devant l’anarchie des réseaux sociaux et la corruption des réalités politiques qui secouent notre planète, ont besoin d’un cri d’impatience pour provoquer le changement.
Le jeune dramaturge l’a compris et c’est dans cette perspective que l’on peut apprécier cette troisième mise en scène d’un de ses textes. Les mots exprimés sont intentionnellement cruels, provocants, réducteurs, parfois de mauvaise foi, savourant la rupture sociale avec délectation, prenant l’individu auxquels ces paroles s’adressent comme des pions qu’on manipule à sa guise.
Dommage que les comédiens, à l’instar de leurs textes, voient en l’art d’interprétation une occasion de seulement improviser (sauf peut-être dans le cas de deux d’entre eux) du mieux qu’ils peuvent. Et c’est sans doute ce qu’à voulu Baril Guérard, totalement envoûté par les pensées tordues de ces illuminés qu’on prend plaisir à haïr, quels que soient leurs intentions.
Avec Tranche-Cul, le théâtre parallèle se dirige vers de nouveaux codes de transmission, cette fois-ci plus proches des réalités qui ne cessent de s’abattre sur l’individu. Surréaliste, extrême, violent, Tranche-Cul est une synthèse allègrement démoniaque de la nouvelle modernité.
[ MONOLOGUES SATIRIQUES ]
Auteur : Jean-Philippe Baril Guérard – Mise en scène : Jean-Philippe Baril Guérard – Scénographie : Marie-Pier Fortier – Éclairages : Vincent De Repentigny – Musique/Conception sonore : Benoît Landry– Costumes : Estelle Charron– Comédiens : Pierre-Yves Cardinal, Olivier Gervais-Courchesne, Karine Gonthier Hyndman, Marie-Claude Guérin, Mathieu Handfield, Andrée-Anne Lacasse, Jean-Sébastien Lavoie, Manon Lussier, Bruno Marcil, Pierre-Louis Renaud, Maude Roberge-Dumas, David Strasbourg, Anne Trudel, Guillaume Tremblay | Durée : 1 h 30 approx. (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 20 décembre 2014 – Espace Libre.
MISE AUX POINTS
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