20 janvier 2015
À l’heure où le drame Charlie Hebdo attise les passions d’un côté comme de l’autre de la planète, se pencher sur cette œuvre classique évoquant un des multiples épisodes de la Shoah tient de la prouesse. Et pourtant l’adaptation par l’écrivain Éric-Emmanuel Schmitt assume sa pertinence avec un sens inouï de la mémoire. Inscrite dans la programmation du TNM pour souligner le 70e anniversaire de la libération d’Auschwitz, Le Journal d’Anne Frank se présente comme un véritable défi, mais la mise en scène de Lorraine Pintal, à l’instar de la distanciation voulu de Schmitt, propulse les protagonistes de cette histoire maintes fois lues dans un univers à la fois déconstruit et ô combien anti-dramatique.
En effet, il y un côté brut, primaire, dans cette œuvre déjà adaptée à l’écran en 1959 de façon beaucoup plus poignante, par George Stevens. Ici, la metteure en scène et l’écrivain rejoignent leurs univers respectifs pour produire une ode au théâtre et à ses multiples représentations.
Il n’est pas question ici de larmoiement. L’émotion est à un état raisonné, logique, éveillé, prenant soin d’éviter à tout prix une approche mélodramatique. Sur ce point, la présence parfois emportée de Mylène St-Sauveur (radieuse, juste, présente), visiblement plus âgée que la vraie Anne Frank, est justifiée par ce détachement perceptible, voulu par les auteurs.
D’où une scénographie hallucinante de Danièle Lévesque, à la fois moderne et évocatrice de ces années de plomb. L’espace scénique abrite également un décor sobre, propice à de multiples transformations. Mais ce qui frappe surtout, c’est qu’en tant que philosophe et humaniste de la modernité, Schmitt refuse le chantage de la compassion, optant pour une approche quasiment documentaire du sujet.
Ça se comprend dans la conception des projections vidéo documentaires, d’une puissance d’allusion insoutenable qui, se juxtaposant aux gestes sur scène, laisse chez le spetacteur une sensation autant d’impuissance que de grande amertume et d’accablement. Le tout magnifiquement orchestré par la rigueur intellectuelle de la musique riches en variations de Jorane, totalement éprise du sujet.
Avec Le Journal d’Anne Frank, nous sommes les témoins d’une adaptation fortement ancrée dans le théâtre de la mémoire, annales personnelles qui agissent ici comme une mise en abyme du spectacle sur scène et du raffinement de son langage.
On reconnaît les propos de l’original, notamment à la fin lorsque la jeune adolescente donne une chance naïve et consciente à l’utopie de l’espoir. Sorte de happy-end ironique, réconciliateur et rédempteur. Notre émotion gravite alors un peu plus haut. Entre Schmitt, l’intellectuel, et Anne Frank, la jeune fille qui s’ouvre à la vie, la symbiose n’a jamais été aussi bouleversante.
DRAME
Auteur : Éric Emmanuel-Schmitt, d’après Le Journal d’Anne Frank – Mise en scène : Lorrraine Pintal – Scénographie : Danièle Lévesque – Éclairages / Conception vidéo : Erwann Bernard – Musique : Jorane – Costumes : Marc Senécal – Comédiens : Mylène St-Sauveur (Anne Frank), Paul Doucet (Otto Frank), Sébastien Doge (Fritz Pfeffer), Benoîy Drouin-Germain (Peter Van Pels), Jacques Girard (Hermann Van Pels), Marie France Lambert (Edith Frank), Kasia Malinowska (Morgot Frank), Sophie Prégent (Miep Gies), Marie-Hélène Thibault (August Van Pels)| Durée : 2 h (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 13 février 2015– Théâtre du nouveau monde.
MISE AUX POINTS
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