13 février 2015
Pour ces Berlinades, Anne-Christine Loranger a été séduite par un film roumain qui, à sa façon, s’attaque à divers anti-ismes établis. Bientôt, ses prédictions quant aux prix. On a hâte.
On sait depuis Freud que la plupart de nos névroses trouvent leurs origines dans les fractures du passé. Le réalisateur roumain Radu Jude pousse la réflexion plus loin, jusqu’à englober les sociétés humaines dans leur ensemble. Si on veut comprendre les peuples modernes, dit-il, il faut nous plonger dans leur passé. Les questions de racisme, d’antisémitisme et de misogynie qui hantent la Roumanie actuelle seraient donc selon lui ancrées dans son histoire. « Je ne sais pas quel psychologue a dit qu’une personne est mentalement saine seulement si elle sait d’où elle vient, où elle se trouve et où elle souhaite aller. La Roumanie actuelle ne sera jamais réellement saine tant qu’elle n’aura pas fait face à son passé avec honnêteté et lucidité, qu’il soit récent ou lointain…»
Aferim ! nous propulse donc dans la Malachie des débuts du 19e siècle. Costandin, un policier de l’époque et son fils Ioniță voyagent à travers le pays en quête de Carfin, un esclave tzigane fugitif. A travers plaines et villages, ils traversent un pays qui se relève de plusieurs guerre, où l’esclavage va de soi. Le régime féodal y est particulièrement cruel envers les tziganes, considérés comme à peine humains. En père responsable, Costandin cherche à faire l’éducation de son fils et d’en faire un homme en lui transmettant les valeurs de dureté et de machisme en vigueur. Mais le jeune Ioniță a le cœur un peu plus sensible que son père et Costandin lui-même devra faire face à l’estime qu’il développera malgré lui vis-à-vis de l’esclave Carfin.
Il y a quelque chose de radiographique dans la vision que le film de Radu Jude nous offre du peuple roumain d’il y a un siècle. Filmé en noir et blanc avec un regard extérieur, mais non dépourvu d’empathie, Aferim ! cherche à comprendre plutôt que de juger, c’est l’une de ses vertus. Si la qualité de l’image en noir et blanc n’atteint pas des sommets, elle est compensée par des personnages criant de vérité et des scènes d’époques soigneusement documentées. Le réalisateur a fait approuver son scénario par un groupe d’historiens et ce souci se répercute dans la précision des reconstitutions de fêtes de villages et des scènes de taverne, complexes et superbement dirigées. La sauvagerie avec laquelle les tziganes sont traités aide à comprendre la culture de racisme dont ils font encore les frais aujourd’hui.
L’objectif d’Aferim ! était de nous faire voyager dans la mentalité de la Roumanie du début du 19e siècle. Paru tenu. Bien tenu.
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