8 février 2015
L’étrange couple La Cantatrice chauve et La Leçon confirme jusqu’à quel point l’univers d’Eugène Ionesco, le plus français des roumains intellectuels, a bâti son œuvre sur un rapport surréaliste à l’homme. Ellipses, reconstructions temporelles, mises en scène subersives, personnages inventés dans une perspective de réédification de la vie, autant d’éléments qui permettent de construire de brillantes mises en perspective.
Celle de Frédéric Dubois explose, possède l’espace aussi subrepticement que fructueusement. Ce combat de l’absurde devient celui des mots et de la pensée. Parler, oublier, se rappeler, déformer, bâtir et reconstruire, faire semblant, se perdre dans l’autre, infantiliser le moment. Avec de telles propositions, le théâtre de Ionesco ne peut être que libérateur. Dans sa rebellion, son refus de système social, sa négation des valeurs établies, sa transformation de l’appareil humain, notamment le vocal, ici vu comme une sorte de machine incompréhensive de la charpente humaine.
Sans doute, rendre l’impossible possible, l’absude pure vérité, l’oubli synonyme de valeur intellectuelle. Mais en fait, Ionesco ne parle que de son époque. Et dans cette version-TDP, l’engagement de Dubois est tel qu’il place le spectateur dans une zone d’inconfort. Et tant mieux, parce qu’il l’aide également à extérioriser ses fantasmes les plus occultés en matière de rapport à l’autre.
Les comédiens, tous superbes, se donnent à cœur joie dans cet essai théâtral existentiel qui, malgré la banalité des propos énoncés, suggère une profonde réflexion sur le vécu. Et quel plaisir extrême de constater qu’une salle remplie de jeunes du secondaire réagit avec un tel retentissement. Ils sont tous émerveillés devant l’inventivité de l’écriture ionescienne, savourent la malformation des mots, font éclater leur émotion à chaque répartie colorée. Le côté pédagogique et intellectuellement participatif ne s’en trouve que plus essentiel.
La Cantatrice chauve est suivi, comme il se doit, de La Leçon. La dynamique, les enchevêtrements, le discours sans méthode et la banalisation du quotidien sont aussi éclatants qu’intentionnellement sédicieux. Ionesco triomphe alors sur tous les fronts et fait de son œuvre une proposition intemporelle. Pour la joie de tous les spectateurs qui, pantois, assistent à un rituel aussi étrange que trippant. Et dans tout cela, où se trouve la cantatrice chauve que l’on attend de voir ? Question à laquelle Ionesco répond de façon aussi évasive que lumineuse.
THÉÂTRE DE L’ABSURDE
LA CONTATRICE CHAUVE / LA LEÇON | Auteur : Eugène Ionesco –Mise en scène : Frédéric Dubois – Scénographie : Marie-Renée Bourget Harvey – Éclairages : Renaud Pettigrew – Musique : Pascal Robitaille – Vidéo : Gabriel Coutu-Dumont – Costumes : Yasmina Giguère – Comédiens (La Cantatrice chauve) : Simon Dépôt (M. Martin), Monelle Guertin (Mme Martin), Éliot Laprise (Le Capitaine des pompiers), Catherine Larochelle (Mary, la bonne), Pierre Limoges (M. Smith), Ansie St-Martin (Mme Martin) – Comédiens (La Leçon) : Décidé par tirage au sort pour chaque représentation| Durée totale : 2 h 05 approx. (incl. 1 entracte) – Représentations : Jusqu’au 28 février 2015 – Théâtre Denise-Pelletier (Grande salle)
MISE AUX POINTS
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