En couverture

Richard III

15 mars 2015

De bruit et de fureur

Élie Castiel
THÉÂTRE
★★★★

C’est à un essai hybride, dans son sens le plus articulé et positif, que nous assistons avec Richard III, avant-dernière pièce de la saison-TNM 2014-2015. Telle que conçue par l’esprit imaginatif de Brigitte Haentjens, on constate avec étonnement que la dame de théâtre pousse les expériences scénographiques, narratives et de direction de comédiens jusqu’au paroxysme.

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En premier plan, Sébastien Ricard (Richard III) PHOTO : © Yves Renaud

C’est drôle, dramatique, tragique, survolté, désorientant, jusqu’à une certaine limite, grand-guignolesque, tâtant simultanément plusieurs terrains vagues de l’expérience scénique, imposant aux comédiens un incessant va-et-vient aux allures de confrontations et de combats, sans compter sur la dualité de leurs personnages.

Par exemple, la bataille dans le dernier acte est l’une des scènes les plus émouvantes car l’esprit de Haentjens est allé cherché le genre de mise en scène des premiers temps. Ce travail archéologique se sent d’ailleurs dans toute la pièce. Les approches se multiplient à notre grand stupéfaction qu’on se plait à retenir durant toute la durée du spectacle.

Aucun moment de répit ni pour le spectateur, ni pour les comédiens. Témoins d’une histoire de famille royale sordide, dévergondée, presque incestueuse, adultère, assassine, nous tentons de faire des rapprochements avec notre époque d’aujourd’hui, où tout semble se défaire.

Non, le critique ne doit pas raconter les détails de cette histoire. Il doit prendre les spectateurs comme non seulement des curieux de Shakespeare, mais des connaisseurs en la matière qui savent très ce qu’il verront. Ce qui est important, c’est ce que les concepteurs du spectacle ont inventé pour satisfaire notre curiosité.

C’est drôle, dramatique, tragique, survolté, désorientant,
jusqu’à une certaine limite, grand-guignolesque, tâtant
simultanément plusieurs terrains vagues de l’expérience
scénique, imposant aux comédiens un incessant
va-et-vient aux allures de confrontations et de combats,
sans compter sur la dualité de leurs personnages.

Comment commencer ? Les éclairages se fondent dans les personnages pour marquer leurs divers états d’âme, la scénographie d’Annick La Bissonnière frôle la tragédie grecque antique, tant par le minimalisme du décor que par l’espace de jeu ; les comédiens, notamment chez les femmes, se mêlent avec dévotion à ces héroïnes que l’on trouve chez Euripide, Sophocle ou même Eschyle. Il y a un côté orientaliste aussi, que viennent confirmer les costumes d’Yso. Cette version magnifique de l’opus shakespearien est en harmonie avec son temps où rien n’est pris pour acquis et que les roues du destin peuvent se manifester d’un moment à l’autre, à l’improviste.

C’est ce qu’a très bien compris Brigitte Haentjens, metteure en scène qui connaît à la perfection les enjeux de son époque. Car elle a très vite saisis que le théâtre n’est pas seulement décor et interprétation, mais également et surtout une vision du monde, de la société, de la politique, de l’ambition chez l’individu. Entre les déboires de ce roi maudit et les scandales d’aujourd’hui, aucun changement, mais plutôt une continuation du mal de vivre, particulièrement dans la civilisation occidentale.

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PHOTO : © Yves Renaud

Quant à Sébastien Ricard, il est complètement imprégné par son jeu, colonisant la scène et les personnages autour de lui. Pour cela, une technique infaillible : entrer dans la peau d’un personnage phyiquement défavorisé par la nature, d’une complexité psychologique intense, promettant le néant, manipulateur, fou des femmes qui se refusent à lui et d’un cynisme abyssal. Toutes ces qualités néfastes, Ricard les intègre dans son corps déformé et son âme meurtrie avec une extraordinaire force de persuasion. Immense !

Dommage que l’insertion de dialogues en joual brise le rythme de l’ensemble. Était-ce vraiment nécessaire car jusqu’ici, tout se passait admirablement bien. Mais bon, ce n’est qu’un détail.

La pièce commence avec un demi soleil qui brille d’une intense lumière comme pour nous tromper et se termine par une lune imaginaire sombre, mettant de l’ombrage dans les méfaits de l’individu. Magnifique, colossal, le Richard III de Haentjens confirme avec intelligence que les classiques peuvent être à la fois transcendés et transgressés, surtout quant c’est avec habileté.

RICHARD III | Auteur : William Shakespeare – Traduction/Adaptation : Jean-Marc Dalpé – Mise en scène : Brigitte Haentjens – Scénographie : Annick La Bissonnière – Éclairages  :Étienne Boucher – Musique : Bernard Falaise – Vidéo : Éric Gagnon – Costumes : Yso – Comédiens (par ordre alphabétique) : Silvio Arriola (Ratcliff+), Marc Béland (Buckingham), Larissa Corriveau (Duc de York+), Sophie Desmarais (Lady Anne+), Sylvie Drapeau (Reine Élizabeth), Francis Ducharme (Richmond+), Maxime Gaudette (Georges+), Reda Guerink (Grey+), Ariel Ifergan (Vaughn+), Renaud Lacelle-Bourdon (Dorset), Louise Laprade (Duchesse de York), Jean Marchand (Rivers+), Monique Miller (Reine Marguerite+), Olivier Morin (Prince Édouard+), Gaétan Nadeau (Édouard IV+), Étienne Pilon (Hastings), Hubert Proulx (Le maire+), Sébastien Ricard (Richard III), Paul Savoie(Stanley), Emmanuel Schwartz (Catesby)| Durée : 2 h 40 approx. (incluant entracte)  – Représentations : Jusqu’au 4 avril 2015 – Théâtre du nouveau monde

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel). ★★★★ (Très Bon). ★★★ (Bon). ★★ (Moyen). (Mauvais). ½ (Entre-deux-cotes)

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