4 mars 2015
Il y a chez Emio Greco et Pieter C. Scholten quelque chose de cryptique, d’impossible de cerner à l’œil nu. Tout au cours de l’heure que dure la représentation, les deux couples de danseurs mâles se jettent pratiquement corps et âme dans un rituel subversif qui ramène l’art chorégraphique à un âge originel.
Le ballet classique est remis aux calendes grecques ; tous ces mouvements de bras évoquent par moments le ballet jazz. Mais c’est surtout la danse post-moderne qui étale les fragments à la fois fragiles, subtiles et complexes de sa diversité. Sur ce point, elle est définitivement au diapason d’un société pour qui l’art du spectacle peut aussi être un discours politique. Spasmes contraignants et du même coup familiers, contractions aliénantes, rapprochements des corps, homoérotisme assumé de la représentation.
Autant d’éléments narratifs qui laisse le spectateur aussi perplexe que fasciné. Mais Rocco est aussi une parole jouissivement agressive sur la durée. As-t-on besoin de plus d’une heure pour briser le silence ? Pour montrer que l’art chorégraphique n’est pas un acte de la surenchère ? C’est désorientant, mais voulu ainsi ; iconoclaste, mais beau à regarder ; sensuel et attirant. Côté danseurs, les masqués de la deuxième partie sont beaucoup plus convaincants même si dans le premier acte, les corps s’organisent assez bien pour incarner le désir, la lutte, le domination, la soumission.
À partir de Rocco et ses frères, du cinéaste Lucchino Visconti, Greco et Scholten ont pratiquement bâti leur vision personnelle du film culte. Mais il faut être expert en la matière pour percevoir ces résonnances. La danse moderne a ceci de particulier que tout en étant suggestive, les intentions, fort louables, restent cachées pour le commun des mortels.
Les spectateurs sont placés dans un auditorium à quatre faces. La scène est un ring, au beau milieu de la salle. Les danseurs-lutteurs l’exploitent à font. Les éclairages, aussi confidentiels que provoquants s’harmonisent aux différents moments. Comme l’art de la boxe, celui de la danse devient ici un véritable champ d’attrait et d’éloignement. Ce paradoxe, aussi inconscient qu’il soit, ne peut se traduire que par l’incontournable et essentielle nécessité de l’humain à se rapprocher de son semblable. Pour Greco et Scholten, c’est incontestablement pari gagné.
Rocco est une coprésentation de Danse Danse/Place des Art et une production ICKamsterdam. Représentations : jusqu’au 14 mars à 20 h / Durée : 1 h 05 approx. – Place des Arts (Cinquième salle) | Billets à partir de 33 $
MISE AUX POINTS
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