24 avril 2015
La plèbe, le peuple, la majorité silencieuse amassée dans une arène sanglante où la métaphore du pouvoir et de l’asservissement atteint des sommets insoupçonnables. Comme dans la Rome du temps des Empereurs sans peur et avec beaucoup de reproches.
Et pourtant, c’est bien aujourd’hui que ça se passe. Terrible mise en abyme que Benoît Drouin-Germain a imaginé pour Ludi Magni, ces jeux cruels de la Cité impériale, dans un environnement contemporain. Humour oblige, nul doute pour apaiser les passions, cet essai sur le pouvoir, la manipulation et la compétion féroce (que le meilleur gagne) véhicule les tenants et aboutissants d’une société actuelle qui carbure aux mieux offrants et ne recule devant rien pour glorifier la réussite individuelle, convertie en norme impitoyable.
Devant un monde occidental où la oisiveté est devenue monnaie courante, mais en même temps se démocratise comme stratégie politique pour taire le peuple, les concours de toutes sortes convoquent les notions éternelles et incontournables du plus beau, du plus fort, du plus intelligent, du plus érudit, du plus éloquent.
La mise en scène de Daniel Brière et Benoît Drouin-Germain agresse intentionnellement, provoque la réaction du spectateur, se déploie dans un espace dramatique entre la folie ordinaire et l’arène citoyenne de combat. Les spectateurs sont sommés de réagir.
Et soudain, pour le critique, qui, en principe, doit savoir comment prendre ses distances, il s’agit là d’une bombe à retardement lorsqu’il s’aperçoit que la plupart faisant partie du public témoin réagissent comme aux temps anciens (si nous en jugeons par l’Histoire). Triste mais en même temps lucide bilan de deux jeunes hommes de théâtre, observateurs éclairés de leurs contemporains, de leurs faiblesses, de leurs émotions, mais aussi de leur sens de la survie quelle que soit la façon dont il se manifeste.
La conception sonore et la musique de Michel F. Côté sont un heureux hommage aux péplums italiens des années 60. Nostalgique à souhait. La scénographie et les costumes de Jean Bard évoquent l’échiquier social, la réussite, la défaite. Mais en fin de compte, on se rend vite à l’évidence qu’il n’existe aucun pitié pour les perdants. À travers les siècles, c’est la loi du plus fort (et du plus astucieux) qui prévaut.
Avec Ludi Magni, le NTE (Nouveau Théâtre Expérimental) propose un essai théorique et ludique sur la condition humaine. Et même l’aspect volontairement christique de l’Empereur n’arrive pas à adoucir le propos. Belle proposition de Drouin-Germain qui invente pourtant une finale taillée sur mesure, à la fois révolutionnaire et d’une extraordinaire force d’espoir en des lendemains qui, on l’espère, enchantent.
LUDI MAGNI | Texte : Benoît Drouin-Germain, avec la participation des acteurs – Mise en scène : Daniel Brière, Benoît Drouin-Germain – Costumes/Scéno. : Jean Bard – Éclairages : Francis Hamel – Musique/Conc. sonore : Christian Thomas – Comédiens/Gladiateurs : Sonia Cordeau, Marie-Pier Labrecque, Christophe Payer, Mathieu Quesnel – Production : NTE | Durée : Environ 1 h 45 (1 entracte) – Représentations : Jusqu’au 9 mai 2015 – Espace Libre.
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [ Entre-deux-cotes ]
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