18 juin 2015
Alma, Lac-Saint-Jean, 2013. Salle d’interrogatoire. Une femme, de dos, fait face à un inspecteur lui lisant les conséquences d’une fausse accusation selon le Code civil. A-t-elle des questions? Non. Marie (Martine Francke) remonte dans le temps, à cette époque récente où elle s’épanouissait avec Antoine (Guy Jodoin), son conjoint, dans son petit univers douillet et agréable, empreint de douceur et de caresses saines et bienfaisantes. En contrepartie, le réalisateur Jimmy Larouche lui oppose l’existence de Richard (Sébastien Ricard) marié à une belle infirmière (Isabelle Blais) qu’il ne touche pas et père d’une adolescente avec qui il peine à communiquer. Pour éviter un trop grand écart de classe sociale, Larouche fait évoluer ses personnages de Marie et de Richard dans le milieu de l’automobile. Marie travaille en tant qu’adjointe administrative chez un concessionnaire où le garage est bien tenu et l’atmosphère de travail conviviale.
De son côté, Richard se salit les mains dans la graisse des pièces récupérées sur des véhicules à la casse entreposées dans des locaux étroits mal éclairés. Ses nuits passées devant des sites de rencontres virtuelles témoignent d’une sexualité égocentrique déviante. En invoquant ces univers parallèles, Jimmy Larouche réussit à créer une comparaison entre les deux et à établir un contraste subtil qui justifie l’inconduite de Richard à l’encontre de Marie lors d’un 5 à 7 entre collègues. Mais ce geste répréhensible fait partie du non-dit de la diégèse, il ne sera jamais porté à l’écran et s’avère fatal au couple harmonieux d’Antoine et Marie.
Ce film, qui repose en majeure partie sur le talent de ses acteurs, lève le voile sur une réalité banalisée signalée par le réalisateur : 33% des femmes sont victimes d’agression sexuelle et 85% d’entre elles choisissent de ne pas dénoncer leur agresseur. Ce qui touche encore plus, dans le traitement proposé par le cinéaste saguenéen, c’est la sobriété avec laquelle il fait évoluer ses protagonistes et l’intensité avec laquelle Chantal Francke et Sébastien Ricard exposent par leur jeu les conséquences du viol. Alors que Richard se morfond dans ses remords, Marie se démène avec l’amnésie provoquée par le GHB et la grossesse à l’avenant.
Traqués en gros plans pour saisir toutes les nuances d’interprétation, les comédiens, vibrants de réalisme, nous permettent de vivre leur drame personnel de l’intérieur. Sans tambour ni trompette, sans crises ni larmes, Antoine et Marie véhicule une histoire qui peut arriver à n’importe qui. La simplicité de la monstration filmée avec beaucoup de retenue et montée en alternance crée une structure dans laquelle le spectateur peut doucement s’insérer. Sans dialogues superflus, Larouche réussit à communiquer l’indicible, à capter les émotions et à transposer un drame issu d’un geste préjudiciable. La boucle du retour au poste de police suggère une prise de position claire : le fardeau de la preuve incombe à la victime qui subit une invasion psychologique irrémédiable. Jimmy Larouche n’apporte pas de solution, mais il soulève une question fondamentale en ce qui a trait à l’infortune des femmes agressées. Le fait de planter son action au cœur d’une région québécoise souligne que le phénomène ne se produit pas qu’en milieu urbain et que toutes les femmes, peu importe l’âge, peuvent connaître un sort similaire. Malheureusement.
* « Surveille ton verre » est emprunté à la mise en garde fort à propos inscrite au verso du sous-verre promotionnel du film.
Genre : Drame – Origine : Canada [Québec] – Année : 2015 – Durée : 1 h 24 – Réal. : Jimmy Larouche – Int. : Sébastien Ricard, Martine Francke, Guy Jodoin, Isabelle Blais, Pierre-Luc Brillant, Véronique Perron – Dist. / Contact : Alma Films.
Horaires : @ Excentris
CLASSIFICATION
Interdit aux moins de 16 ans
(Érotisme)
MISE AUX POINTS
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