22 novembre 2015
Le décor fonctionnellement inspiré de l’Espagnol Victor Ochoa est certes impressionnant, jetant sur le drame vécu une intervention évidente des Dieux. Mais son imposante structure noie les personnages, les rendant des miniatures terrestres, des marionnettes incapables d’assouvir leurs passions.
La tragédie qui s’inspire de l’écrit de Sophocle n’offre ni catharsis ni transcendance. Au contraire, le début et la fin, malgré les apparences, nagent dans la pénombre et le néant. D’où une lumière d’Étienne Boucher où le fond gris demeure propice à l’atmosphère de l’ensemble. Lorsque la statue est illuminée, rayonnante, elle marque des petites victoires passagères, montrant jusqu’à quel point la puissance de la vengance est éphémère. Elektra change souvent la position de la statue d’Agamemnon, comme s’il s’agissait de le rendre vivant, de devenir le témoin d’un châtiment impitoyable qui se trame.
Mais les Dieux de l’antiquité ont ceci de particulier qu’ils laissent aux individus le poids de choisir leur destin. Ils s’interposent dans de rares cas, laissent leur sujet forts ou affaiblis et, mine de rien, les conduisent tout droit vers leurs accomplissements ou vers leur destruction. La nouvelle production Elektra de l’Opéra de Montréal traduit bien ce verdict des cieux. Le destin s’accomplit. Sur ce point, rien à dire.
Côté création, néanmoins, pourquoi un tel acharnement de certains metteurs en scène à moderniser les anciens ? Cet amalgame de costumes, entre la contemporanéité et le classicisme (par moments, dans le cas de Clytemnestre) brise la structure du drame, laissant le spectateur désorienté et mettant la notion de temporalité à dure épreuve. La mise en situation est par ailleurs hésitante, trop encombrée par un décor unique (mise à part ce qui ressemble à de minimes échafaudages) trop puissant. Même Elektra ne peut survivre au poids de son père, pourtant mort.
Il y a les voix et le niveau d’interprétation : Lise Lindstrom, dans une tenue d’amazone moderne, les cheveux blonds (alors que les Électres traditionnelles les ont noir), possède une voix peu imposante pour ce rôle, s’emportant soudainement lorsqu’il s’agit de prononcer son désir de vengeance. Chrysothémis est bien campée par Nicola Beller Carbone. Sa voix suit la mesure, sa diction est claire et sa robe rouge de bonne tenue. Les brèves interventions de Clytemnestre sont bien accueillies par Agnes Zwierko, convenable.
Et puis, la vedette hors-scène de la soirée, notre Yannick Nézet-Séguin national. D’habitude excellent, il se présente dans la fosse d’orchestre en tee-shirt noir, manches courtes, un soir de première, défiant pour ainsi dire le protocole établi et qui fonctionnne à chaque fois depuis toujours. Et soudain, son bâton mêne l’orchestre avec un tel emportement qu’il bouleverse le travail sur scène.
Certes, une Elektra qui déçoit, mais qui vaut le détour, ne serait-ce que pour se rappeler que les tragédies grecques sont des histoires d’aujourd’hui. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut les dénaturer en les modernisant. Nous avons hâte de voir ce que la tragédie d’Otello nous réserve en 2016.
ELEKTRA – Tragédie en un acte | Compositeur : Richard Strauss (1864-1949) – Livret : Hugo von Hofmannsthal, d’après Ilektra de Sophocle – Direction musicale : Yannick Nézet-Séguin / Orchestre Métropolitain / Chœur de l’Opéra de Montréal, sous la direction de Claude Webster – Mise en scène : Alain Gauthier – Décors : Victor Ochoa – Éclairages : Étienne Boucher – Costumes : Opéra de Montréal – Chanteurs / Interprètes : Lise Lindstrom (Elektra), Nicola Beller Carbone (Chrysothémis), Agnes Zwierko (Clytemnestre), Alan Held (Oreste), ainsi que John Mc Master, Tomislav Lavoie, Claude Grenier, France Bellemare et plusieurs autres | Version originale : allemand – Surtitres : anglais, francais – Durée : 1 h 40 (sans entracte) | Prochaines représentations : 24, 26 et 28 novembre 2015 – 19 h 30 / Place-des-Arts (Salle Wilfrid-Pelletier).
MISE AUX POINTS
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