En couverture

Les Ballets Jazz de Montréal

3 décembre 2015

DE RYTHMES ET D’EXALTATIONS

Élie Castiel
DANSE
★★★★

Leurs présences sur scène sont, depuis leur début, auréolées de succès. Ce qui étonne chez les BJM (Les Ballets Jazz de Montréal), c’est nul doute leur loyauté aux sources primaires de leur art. Si au début, du temps où Eddy Toussaint (toujours actif individuellement) prônait l’approche populaire, tant dans le geste que dans le choix musical, le nouveau maître de piste, Louis Robitaille, n’a rien perdu de cet esprit, mais l’a sans contredit ajusté, au fil des années, au goût du jour. Une question d’instinct plutôt que de survie puisque l’intérêt envers cette compagnie est toujours aussi vivant.

Josph Ghaleb

Rouge (© Joseph Ghaleb)

À une époque où la danse moderne s’évertue à aborder des thèmes sociaux et parfois même politique, les chorégraphes de la nouvelle mouvance tendent vers le côté athlétique plus que le geste classique. La trilogie Rouge / Mono Lisa / Kosmos succombe adroitement à ces prérogatives en faisant du geste des sermons de revendications, de rapport de couple, d’individualité, de chocs de valeurs et de civilisations, mais comme par magie, de conciliation entre l’individu et la nature. Sur ce point, Kosmos, du Grec Andonis Foniadakis est l’exemple le plus frappant.

Le rapport au monde de Galilli est d’une actualité sidérante.
Ne serait-il pas l’inconscient qui habite son pays ? Entre
la jouissance de la vie et la tourmente d’un conflit qui s’éternise ?

Mais il y a d’abord, Rouge, du Brésilien Rodrigo Pederneiras, « hommage aux peuples autochtones », comme l’indique le programme de la soirée, mais dans le même temps une proposion alléchante sur la résistance du corps. Les mouvements, intentionnelement répétitifs se confondent au rythme de la vie. Le tout agrémenté de sons tribaux, de bruits de la nature, de vagues… Un voyage sensoriel où l’humain et son environnement se confondent pour inventer un nouveau paradis utopique fait de sensations et de vie. La tension est vive ; le pouls bat vite ; l’existence est présente, sans équivoque. Pederneiras est tout à fait conscient du monde qui l’entoure et lui insuffle un vent de renouveau. Tout en l’accueillant avec ferveur, nous l’avons trouvé un peu long… peu importe.

Alan Kohl

Mono Lisa (© Alan Kohl)

Originaire d’Israël, Itzik Galili simplifie le moment par sa durée, mais situe le pas de deux classique dans une ambiance industrielle feutrée de métals, de sons durs, d’urbanité conflictuelle que le couple en question tente d’harmoniser malgré les obstacles. Le geste est tantôt saccadé, tantôt prenant quelques très brèves pauses éphémères, reprenant son souffle et son rythme avec une frénésie suintement contagieuse. Le rapport au monde de Galilli est d’une actualité sidérante. Ne serait-il pas l’inconscient qui habite son pays ? Entre la jouissance de la vie et la tourmente d’un conflit qui s’éternise ? Itzik Galili, sur ce plan, peut être considéré comme un philosophe moderne de la chorégraphie car il répond à ces questions avec une autorité aussi rassurante qu’humainement instransigeante.

Et puis le Grec, le Crétois, amoureux fou de ses origines, auxquelles il rend un vibrant hommage aussi tumultueux que ses habitants que serein face aux dons d’une nature survoltée. La musique crétoise se mélange subtilement aux sons étrangers pour former un ensemble d’une sensualité attachante et d’une mélancolie enveloppante. Car Kosmos (monde, en français) est sans aucun doute le clou de la soirée. Imagination dans les costumes de Philippe Dubuc, éclairages évoquant les cieux d’une époque lointaine de James Proudfoot.

L’urbain et l’antique se confondent en quelques trente minutes de rythmes et de gestes fébriles. Dans chaque réplique, chaque transition entre un moment et l’autre, dans le rapport entre danseurs, tout respire la Grèce comme berceau de la civilisation. Comme ces évocations nostalgiques de muses, de sculptures et même de mosaïques d’un âge révolu, mais toujous aussi présent dans l’esprit de ceux qui ont choisi l’art comme une façon de vivre leur vie.

Raphselle Bob Garcia

Kosmos (© Raphselle Bob Garcia)

À un moment où ce pays traverse une grave crise économique, sociale et polique, la création artisitique, quelle que soit la discipline, est un acte de résistance, un geste politique que le brillant chorégraphe Andonis Foniadakis assume en toute conscience, fière de contribuer à un meilleur avenir par le biais du corps en mouvement.

Les Ballets Jazz de Montréal étonnent toujours. Ils excitent l’auditoire, électrisent la salle. C’est l’une des compagnies d’ici qui respectent à fond un public déjà conquis.

ROUGE / MONO LISA / KOSMOS | Chorégraphie : Rodrigo Pederneiras, Itzik Galili, Andonis Foniakadis – Danseurs : 14 danseurs des Ballets Jazz de Montréa – Musique : Les Frères Grand, Itzik Galili / Thomas Höfs, Julien Tarride – Éclairages : Gabriel Pederneiras, Itzik Galili, Daniel Ranger – Costumes : Natasja Lansen, Philippe Dubc  | Durée : 1 h 45 (incl. 1 entracte) – Représentations : jusqu’au 5 décembre 2015 / 20 h – Place des Arts (Théâtre Maisonneuve).

MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel). ★★★★ (Très Bon). ★★★ (Bon). ★★ (Moyen). (Mauvais). ½ (Entre-deux-cotes)

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