29 janvier 2016
Le nom espagnol de la compagnie montréalaise dirigée par la chorégraphe-danseuse Myriam Allard signifie « l’autre rive ». Belle image qui renvoie à une façon autre de composer avec le mouvement et de le déconstruire. Pour évoluer, pour être de son temps, pour s’empêcher dans s’engluer dans un sentimentalisme maladroit et malsain face à l’art, toujours en constante gestation. Tout est à recommencer, mais autrement, par instinct, comme s’il s’agissait d’une logique naturelle, semble dire une Allard en pleine possession de ses moyens.
Dans le cas du flamenco, danse ancestrale, presque païenne, dont le rituel se perd dans la nuit des temps, les puristes pourraient juger l’acte de le transformer indécent, allant jusqu’à accuser l’artiste d’hérétique.
Mais Moi et les autres, création d’une incroyable originalité sur la solitude des êtres, sur le rapprochement à l’autre où, au contraire, son refus, apporte aux pas gitans une narration troublante de vérité qui a rapport à notre monde. En sociologue-chorégraphe, Myriam Allard émoustille nos sens. La volupté côtoie la réflexion intellectuelle, le rythme de l’incontournable zapateado est à la fois fébrile et sensible à l’âme.
Le corps devient ainsi un objet mécanique érotique et infernal prêt à tous les débordements car, justement, il possède aussi une âme. Il occupe toute la scène, comme s’il était question d’un film en cinémascope. L’horizontalité n’a jamais été aussi impeccable. Les tableaux, d’une savante construction, se suivent et ne se ressemblent pas. La métamorphose n’est plus seulement au niveau de la danse, mais se perpétue à travers une mise en scène aussi brillante que judicieuse.
Magnifiquement orchestrée, elle s’appuie sur une logique implacable visant à réunir théâtre et danse, récit et mouvement. C’est en tout cas ce que Allard propose. Nous avons l’impression qu’à l’instar des enjeux sociopolitiques, les diverses disciplines artististiques se mondialisent au profit d’une nouvelle appréciation de ce qu’est l’art de la représentation.
De temps à autre, sans doute par respect envers les sources de son inspiration, la chorégraphe reprend en filigrane quelques mouvements traditionnels (sans oublier les chaussures rouges et l’abanico/abanillo rouge) qu’on reconnaît avec une certaine nostalgie et qui nous pousse à sourire. Comme au bon vieux temps. Et d’un coup, l’actuel reprend ses droits pour affirmer le temps présent avec insistante fermeté.
Moi et les autres n’est pas un titre créé au hasard. C’est surtout le résultat d’une profonde analyse sur son métier, une remise en question d’une rare rigueur intellectuelle et morale. C’est avant tout un spectacle d’une immense richesse visuelle et sonore.
MOI ET LES AUTRES | Chorégraphie / Mise en scène : Myriam Allard, Hedi Graja – Sur scène : Myriam Allard (danse), Hedi Graja (voix), Miguel Medina (percussions), Caroline Planté (guitare) – Conception musicale : Caroline Planté – Contrebasse : Mathieu Désy – Scénographie : Hedi Graja – Éclairages : Étienne Boucher – Costumes : Marianne Thériault – Direction technique : Philippe Pelletier – Extrait : Rêveries du promeneur solitaire, de Jean-Jacques Rousseau – Production : La Otra Orilla, Théâtre Centennial, Danse Danse | Durée : 1 h 10 (Sans entracte) – Représentations : jusqu’au 6 février 2016 / 20 h – Place des Arts (Cinquième salle).
MISE AUX POINTS
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