6 avril 2016
L’ouvrage de Larry Tremblay paru il y a trois ans regorge en métaphores, sous-entendus, pièces à conviction, moments de dialogues terre-à-terre qui, d’un coup, se mêle à la fable anti-guerre. Pour les besoins de la scène, l’auteur prend le risque de reconstruire le récit sur un espace dramatique. Faire vivre des personnages typiquement textuels, les rendre crédibles, entretenir un dialogue complice et partagé entre la scène et le public. En sorte, oser une aventure risquée, quitte à s’apercevoir de s’être trompé.
La dernière production de la saison TDP 2015-2016 est une gageure à moitié réussie. Simplement, le texte de Tremblay, à mon humble avis, n’est pas adaptable sur scène. À l’écran, peut-être, parce que le cinéma peut se permettre, visuellement, d’inventer des univers, des sensations, des atmosphères que le théâtre ne peut se le permettre. C’est ainsi que la mise en scène de Claude Poissant, nouveau chef-maître du TDP, demeure figée dans l’espace ; froide, distanciée, cynique même, dans un sens au diapason de l’écrit, et qui, par défaut, désoriente le spectateur, l’ennuie même par moments, le soumettant à de longues tirades sur l’absurdité de la guerre et les relations familiales à la fois déchirantes et rassembleuses. Et c’est peut-être et sans doute même voulu ainsi.
Néanmoins, il y a un élément essentiel qui manque : l’émotion. À part quelques courts moments, notamment celui émanant de la prestation de Gabriel Cloutier-Tremblay, les protagonistes sont souvent au fond de la scène ou aux extrémités droites/gauches. Il en résulte une sensation de désincarnation non souhaitée, particulièrement par les spectateurs qui entendent des voix récitatives plutôt qu’en échanges mutuels.
D’autre par, les costumes de Sébastien Dionne sont superbes, plaçant les personnages dans un no-man’s land qu’on peut, à la rigueur, identifer comme étant un pays arabe, caractéristique appuyée par le texte de la même origine sur le mur, au fond de la scène. Idem pour les prénoms des personnages : Amed, Halim, Kamal… ! Et qui sont ces chiens qui ont posé une bombe ayant éclaté dans la cuisine de la maison, causant la mort des grands parents ? Le conflit israélo-palestinien nous colle à la peau, mais jamais ces deux pays sont mentionnés. Point de jugement de la part de Tremblay, mais un plaidoyer contre toutes sortes de barbaries. Sur ce point, le court monologue de l’oncle, très efficace Mani Soleymanlou, montré sur support vidéo, en noir et blanc, comme le sont d’ailleurs les couleurs emphatiques de cette adaptation théâtrale, est le centre d’intérêt de L’orangeraie, le message concluant.
Et si, narrativement, cela ne fonctionne pas tel que nous l’avions prévu, les décors, par contre, de Michel Gauthier donnent à l’ensemble l’atmosphère voulu. Minimaliste, dépouillé de tout ornement superficiels et superfétatoires. C’est la partie la plus réussie du spectacle, augmentant d’un cran la crédibilité narrative.
En somme, L’orangeraie, version-TDP, demeure au niveau de la fable, sans souci organique d’incarnation. Sans doute, comme un avatar ou une aventure fantasque en forme de rêve éveillé.
Auteur : Larry Tremblay – Adaptation : Larry Tremblay, d’après son texes – Mise en scène : Claude Poissant – Décors : Michel Gauthiers – Éclairages : Erwann Bernard –– Costumes : Sébastien Dionne – Conception / Réalisation vidéo : Janicke Morissette / Silent Partnet Studio – Environnement sonore : Philippe Brault – Comédiens : Gabriel Cloutier-Tremblay (Amed), Éva Daigle (Tamara), Philippe Durocher (Halim), Ariel Ifergan (Kamal), Jean-Moïse Martin (Soulayed), Vincent Guillaume Otis (Mikaël), Daniel Parent (Zahed), Jack Robitaille (Mounir), Mani Soleymanlou (l’oncle), Sébastien Tessier (Aziz) | Durée : 1 h 45 approx. (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 16 avril 2016 – TDP (Grande salle).
MISE AUX POINTS
★★★★★ (Exceptionnel). ★★★★ (Très Bon). ★★★ (Bon). ★★ (Moyen). ★ (Mauvais). ½ [Entre-deux-cotes]
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