1er mai 2016
À l’heure où des voix se font entendre sur l’intégration des nouvelles ethnies dans la mouvance culturelle de la nation, l’essai théâtral 887 s’impose comme un retour du balancier, un discours politique sur la québécitude et la liberté de choisir son destin. Comme pierres angulaires, le retour de la fin des années 60 et les 70, celles qui ont ébranlé et intellectualisé la pensée libératrice. Celles aussi où le Québec s’est inspiré de tous ces mais 68 et autres printemps de Prague pour tenter de redéfinir son destin.
Époques où changer le monde n’était plus une idéologie, mais un devoir citoyen. Robert Lepage s’en souvient, et c’est autour du crédo je me souviens que ses trois chiffres magiques 8 8 et 7 se manifestent pendant presque deux heures inoubliables, fascinantes, donnant aus spectacteurs la possibilité de traverser le temps et surtout et avant tout de réfléchir.
Lepage revendique un retour à l’Histoire d’ici, parce que nécessaire, parce qu’empreint d’un ADN identificateur impossible à dégager de son corps ou de sa âme, parce qu’il réalise qu’en ce moment, nous vivons une ère non seulement d’incertitude politique, mais aussi de faux-semblant inculte, de matérialisme qui nous isole, de confort illusoire prisonnier de l’indifférence la plus totale.
Robert Lepage ne joue pas le comédien. Seul sur scène, il se présente comme s’il s’agissait d’un dialogue entre lui et les spectateurs. Il demeure Lepage, l’artiste, l’artisan, l’homme, le citoyen. Les lumières, pendant quelques minutes, ne sont pas éteintes. Acte de provocation délibéré contre les conventions théâtrales, soumettant les spectateurs à accepter (ou pas, selon le cas), sa proposition.
La salle se réjouit devant tant d’audace (mais de la part de Lepage, on peut s’attendre à tout), tant de détermination. Et puis la référence au poème Speak White, âme de cette fameuse Nuit de la poésie des années 70. Un écriture politico-humaniste de Michèle Lalonde, présente dans la salle, faisant de cette première médiatique un moment inoubliable, une réconciliation possible avec le destin.
Le tout-Montréal artistique et politique était présent. Coïncidence ? Respect pour une icône nationale ? Toujours est-il que 887 demeure un cri de l’âme, un hurlement du cœur, Lepage se servant de l’art pour parler de toutes ces causes qui lui tiennent à cœur : famille, féminisme, politique, orientation sexuelle finalement publiquement avouée et qui suscite un sourire approbateur de l’auditoire.
Car 887 est un puzzle d’idées et de confrontations de mise en scène. Cet immeuble originel en forme de jouet pour enfants, cette bibliothèque en papier minitieusement bâtie, confirment la dualité de l’individu, adulte ayant conservé un regard d’adolescent, pur, vierge, sans aspérités, honnête, franc dans ses reflexes.
Comme modus operandi pour mener à bien la trajectoire d’un théâtre mécanique, hybride, se servant du concret pour nourrir la pensée, faisant des objets des instruments pour alimenter la mémoire, c’est avoir recours à la simplicité. C’est de cela qu’il s’agit chez Robert Lepage. Artiste complet, intellectuel, proche de l’autre, tout en tenant une distance voulue. Non pas pour se protéger, mais pour faire comprendre qu’entre l’art et la vie, existe un territoire intouchable, fragile, condescendant, certes, mais prêt à exploser si on le touche par mégarde, une ère de créativité dont l’indépendance est essentielle.
Lepage est un romantique jaloux admirable et il le montre avec délectation. Tant mieux ! Avec 887, il signe un émouvant et poignant essai identitaire qui, si l’on observe de près, invite ces cultures autres à se joindre à cette nouvelle identité québécoise globalisante et fort accueillante. Mais c’est aussi un hommage au père d’une bouleversante et attachane ténacité.
Texte/Conception : Robert Lepage – Mise en scène : Robert Lepage – Éclairages : Laurent Routhier – Musique/Conception sonore : Jean-Sébastien Côté – Concept/Images : Félix Fradet-Faguy – Costumes : Jeanne Lapierre – Comédien : Robert Leplage – Production : Ex Machina, en coproduction avec le TNM [et al.] / Durée : 1 h 55 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 8 juin 2016 – TNM.
MISE AUX POINTS
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