21 mai 2016
Ne passons pas par quatre chemins : pour certains, minoritaires malheureusement, il y a une sensation d’inconfort à voir évoluer les deux personnages de Je préfère qu’on reste amis, la pièce créée en 2014 par le très spirituel Laurent Ruquier, animateur, entre autres, de l’émission culte télé, On n’est pas couché.
Prostitution masculine et prostitution féminine – pour Jean-Guy (alias Jean-Dimitri), ce n’est pas la même chose, laisse-t-il entendre à sa « meilleure amie » Claudine, follement amoureuse de lui, vieux cliché de la fille boulotte secrètement transie d’amour pour son tchum de gars bi et/ou gai. Néanmoins, pour ne pas trop choquer les spectateurs et rentabiliser au maximum la pièce, Ruquier le transforme en bisexuel qui « préfère les femmes », ce qui explique qu’à la fin… Un fait est indéniable. Malgré les acquis sociaux (et politiques) des homosexuels, rien n’a vraiment changé en ce qui a trait à l’acceptation de cette orientation sexuelle. Tout simplement parce que des lois promulguées ne peuvent en aucun cas transformer la perception des gens acquise depuis des siècles et préservée de génération en génération. L’actualité nous le confirme régulièrement.
De la part de Ruquier, un texte qui aurait pu être provocateur, aborder la question frontalement avec plus de sévérité et d’humour incisif, ne risque rien ici, préférant plaire à la galerie, question de ne pas « gâcher leur plaisir ». Le principal intéressé, lui-même gai assumé, n’ose pas, refuse catégoriquement la dissidence et, pire encore, se permet une écriture vieillotte, sans aucun intérêt par les temps qui courent, ne pouvant intéresser qu’une certaine génération de spectateurs nourrie d’anciennes traditions et de valeurs conservatrices et, à en juger par le soir de la Première médiatique, à assez de jeunes également.
Jean-Dimitri (nom quétaine d’escorte masculin) n’est pas gai, mais bi et cela convient. La morale est sauve et le verbe devient puritain à souhait. Patrick Hivon, magnifique d’énergie et de sensualité dans le remarquable Un tramway nommé désir, mis en scène par un Serge Denoncourt totalement libre de ses actes, fait d’énormes efforts ici pour habiter un personnage auquel il ne croit pas totalement. Geneviève Schmidt par contre, transforme son rôle en véritable fag hag ancien régime et le fait avec une attention aux détails extraordinaire. Entre les deux, par contre, la chimie n’opère pas et évolue selon l’approche du happy-end invraisemblable. Ils suivent en fait les directives de Denise Filiatrault, grande dame du théâtre, mais cette fois-ci, semblant avoir hâte de boucler la saison 2015-2016.
Comédie légère, sans doute mais un peu trop. La pièce a connu un succès retentissant à Paris, confirmant qu’en matière de goût, du moins pour le divertissement sans conséquence, les spectateurs français semblent avoir perdu beaucoup de leur penchant pour des écrits plus subtils, élégants et sophistiqués. Il n’est finalement pas surprenant que pour Je prèfère qu’on reste amis, le TRV se soit associé à Juste pour rire, depuis fort longtemps, une des passions dévorantes des Québécois en matière de distraction.
COMÉDIE | Texte : Laurent Ruqier – Adaptation / Mise en scène : Denise Filiatrault – Éclairages : Erwann Bernard – Musique : Guillaume St-Laurent – Costumes : Sylvain Genois – Comédiens : Geneviève Schmidt (Claudine), Patrick Hivon (Jean-Guy / Jean-Dimitri) – Production : Théâtre du Rideau Vert, en association avec Juste Pour Rire / Durée : 1 h 30 (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 11 juin 2016 – TRV.
MISE AUX POINTS
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