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Invisible

9 janvier 2017

CRITIQUE-Web
★★★★  
Élie Castiel

GRÈCE, MÈRE BLAFARDE

Cinéaste du début des années 1990, Dimitris Athanitis se situe dans la mouvance d’un certain cinéma grec en pleine évolution, suscitant la curiosité bien fondée des festivals internationaux, notamment européens. Avec 2000 + 1 Shots (2000 + 1 stigmés) en 2000 et Three Days Happiness (Trís méres eftyhías) en 2012, sans compter d’autres longs et quelques courts métrages signés dans les années 90, le réalisateur confirme déjà son argumentation narrative, explorant les thèmes de la solitude dans une urbanité tentaculaire, voire même glauque qui ne donne aucun répit au citoyen.

Avec le recul, on s’aperçoit qu’il s’agit aussi d’un cinéma annonciateur de la crise existentielle, économique et sociale d’une Grèce laissée à elle-même, à l’abandon. Avec Invisible (Aóratos), il brosse en quelque sorte le portrait d’un homme en crise comme il l’avait fait avec 2000 + 1 Shots ; ici, l’individu n’est plus maître de lui, il est perdu dans la cité, victime d’une crise économique sans merci, licencié d’une usine sans préavis, divorcé de sa femme qui, en apprenant sa débâcle, semble s’en ficher.

invisible

Christos Benetsis et Yannis Stankoglou

Car dans la Grèce en crise, c’est du chacun pour soi, sauf les rarissimes affranchis qui profitent de cette panne économique pour s’enrichir davantage. Mais ce qui frappe dans ce dernier film d’Athanitis, c’est l’originalité de la mise en scène, dénigrant la linéarité pour mieux s’adapter au personnage principal, Aris, individu déshumanisé, perdu lorsque son gagne-pain cesse, confondant la réalité et l’imaginaire, parcourant l’espace vital avec une déréliction poignante, qui n’a pas de nom, invisible, comme l’est lui-même.

Car Invisible, c’est aussi un film de mise en scène et d’acteurs. Le récit, d’une simplicité étonnante, brille par la réalisation torturée, iconoclaste et délicatement rebelle d’un cinéaste témoin de son temps. Déjà remarqué, entre autres, dans Hardcore (2004) de Dennis Iliadis et en 2005 dans Hostage (Omiros) de Constantine Giannaris, Yannis Stancoglu compose le personnage d’Aris avec une étonnante distanciation, une absence métaphysique qui reconstruit l’espace autour de lui et soumet la Grèce filmée à une autopsie géographique hallucinante. Il a le visage d’un lutteur sans plus d’énergie, d’un ancien amoureux de la vie qui a perdu tout espoir, d’un travailleur dont on ne veut plus.

Somme toute, Invisible est un film diégétiquement
cinématographique; chaque plan de la ville et des
intérieurs devenant la cible de la caméra, emportant avec
elle les soubresauts tragiques d’une urbanité dont
on entretient la vie à l’aide d’une respiration artificielle.

L’acte sexuel (expéditif) avec la barmaid, après son licenciement n’est que le témoignage d’un dernier rapport amoureux avec la vie. Car pour Dimitris Athanitis, et donc pour Aris, tout semble perdu, l’air n’est plus respirable, le futur n’existe point, le présent n’est que fausse survie : la femme d’Aris a un nouveau mari/amant, ses amis le laissent presque tomber, on lui offre un petit boulot de merde qu’il laisse tout de suite tomber; le seul horizon d’espoir dans ce ciel bleu en état gris-diaphane, c’est son fils, un petit gamin de six ans, incarné par un Christos Benetsis dont la présence magnifique nous fond le cœur. Ou serait-ce également la caméra de Giannis Fotou qui s’attache à lui, le filmant comme la douce caresse d’un père à son enfant.

La bande sonore de Papercut est saccadée, faite de courts morceaux qui s’infiltrent dans le psyché déformé d’Aris, soulevant parfois des envolées, courtes, mais tragiques. Et il y a aussi le montage de Stamatis Magoulis (idem que dans Three Days Happiness) renonçant catégoriquement à la linéarité du récit, préférant brouiller les pistes, s’engouffrant dans une sorte de road movie intérieur où n’existent guère ni le souvenir, ni la mémoire, laissant cet anti-héros grec post-moderne se diriger vers un destin illusoire et incertain.

Somme toute, Invisible est un film diégétiquement cinématographique; chaque plan de la ville et des intérieurs devenant la cible de la caméra, emportant avec elle les soubresauts tragiques d’une urbanité dont on entretient la vie à l’aide de respiration artificielle. La Grèce n’est point un lieu touristique, mais réclame quand même l’amour qu’on lui doit.

« Meilleur film / Invisible Meilleur réalisateur / Dimitris Athanitis
Meilleur acteur / Yannis Stankoglou »

London Greek Film Festival 2015

MISE AUX POINTS
★★★★★  Exceptionnel★★★★  Très Bon★★★  Bon★★  Moyen★  Mauvais½  [Entre-deux-cotes]  –  LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES

AÓRATOS | Origine : Grèce – Année : 2015 – Durée : 1 h 24 – Réal. : Dimitris Athanitis – Scén. : Dimitris Athanitis, Yorgos Makris – Images : Giannis Fotou – Mont. : Stamatis Magoulas – Mus. : Papecut –  Son : Michalis Sarmanolis, Lefteris Douros – Dir. art. : Stella Kaltsou – Cost. : Stella Kaltsou – Int. :  Yannis Stankoglou (Aris), Christos Benetsis (le petit Adonis), Menelaos Chazarakis (l’entrepreneur), Nikol Drizi (Dora), Kora Karvouni (barmaid), Yorgos Makris (comptable), Stelios Dinopoulos (policier), Costas Xikominos (policier), Eva Stylander (femme de l’entrepreneur) – Prod. : Dimitris Athanitis, Panos Papadopoulos – Dist./Contact : New Star (Grèce).

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