16 février 2017
RÉSUMÉ SUCCINCT
En rendant visite à sa fille, qui travaille en Roumanie, un certain Winfried s’ingère de plus en plus dans sa vie, provoquant des situations inattendues, aussi drôles que dramatiques.
Il y a, dans Toni Erdmann, justement salué par la grande partie de la critique à Cannes et ailleurs, quelque chose qui ressemble à l’âme, à ce qu’elle cache comme mystères, doutes, déceptions, émerveillements. Récit simple pour un film qui, dans un sens, s’annonce comme un nouveau départ (sans doute déjà amorcé) pour le cinéma allemand. Est-ce le début d’un nouvel âge d’or germanique rappelant celui des années 1970 ? C’est très certainement ce que nous souhaitons.
Les années « Angela Merkel » ne sont pas seulement celles des migrants et des réfugiés venus principalement des pays en guerre, mais aussi celles de la plus grande puissance de l’Union européenne, happée par les règles corrompus d’un capitalisme économique permettant de travailler d’un pays-membre à l’autre. Ici, c’est la Roumanie, et plus particulièrement, Bucarest, capitale montrée avec une froideur clinique, des lieux (rares) de la haute finance manigancée par des étrangers et quelques rares insulaires. Le miracle européen ne s’est donc pas réalisé pour toutes les nations qui y ont cru. Voyez l’Espagne, le Portugal et surtout la Grèce.
Mais pour l’individu d’aujourd’hui qui se bat dans les milieux de la finance, une perte avec le noyau familial. Seules les affaires comptent. Le sexe est expéditif, l’affection presque absente. Il n’est donc pas surprenant que le personnage d’Ines (éclatante Sandra Hüller dans le rôle d’une féministe dans l’âme, virile et ambitieuse dans sa poursuite de la réussite en affaires), traverse sa vie d’adulte dans un univers économique qui carbure au profit. Dans ce sens, Toni Erdmann est un film politique sans l’être, car derrière ce récit de la rencontre entre un père (grandiose Peter Simonischek qui revêt, littéralement et symboliquement, des masques qui ont à voir avec la vie) et sa fille, les relations familiales ont justement quelque chose de politique : compromis, intrusions, disputes, règlements de comptes, négociations, tout ce que chaque être humain traverse quotidiennement.
Toni Erdmann, c’est le croisement entre l’existence au jour le jour et ce que cela comporte comme accomodements, raisonnables et souvent arbitraires. Au total, presque trois heures de projection qui passent inaperçues tant le spectateur est fasciné par toutes ces séquences magiques, étourdissantes, frôlant le ridicule magistral avec un sens chronométré de l’autodérision.
Comme c’est le cas de tous les auteurs d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, le plan est une affaire de morale. Nous l’avons souvent répété. Mais il le faut, car ici, son éthique est un exemple selon lequel le regard du cinéaste transperce le récit, ne se pliant pas nécessairement aux attentes des spectateurs. La surprise est totale, exigeante, déterminée. Et c’est justement pour ces raisons que nous finissions par craquer devant une telle sincérité. En atteignant une grande partie des spectateurs, Maren Ade respecte à la fois leur intelligence, leur maturité, leur sens de l’observation et du regard aiguisé. Donner des exemples de séquences réussies, c’est gâcher l’effet-surprise aux spectateurs, car Toni Erdmann est un lieu où tous les possibles cinématographiques peuvent se réaliser. Et la fin, ouverte, nous laisse voir que l’horizon peut avoir des couleurs variées et surprenantes. À nous de les décripter.
Entre la cinéaste et l’auditoire, une sorte de complicité tacite qui s’harmonise avec la vie. C’est drôle, convaincant, d’une justesse de ton admirable. Un film électrique, électrifiant, soutenu par des comédiens d’immense talent, prouvant jusqu’à quel point le cinéma d’auteur peut faire preuve de résilience, de liberté et de rapport au monde aussi réaliste que conciliant. En ce moment, c’est quelque chose dont nous avons tous besoin, particulièrement dans un Occident en perte de vitesse sociale, politique et morale.
Genre : COMÉDIE DRAMATIQUE – Origine : Allemagne / Autriche – Année : 2016 – Durée : 2 h 43 – Réal. : Maren Ade – Int. : Peter Simonischek, Sandra Hüller, Ingrid Bisu, Michael Wittenborn, Lucy Russell, Thomas Loibl – Dist./Contact : Métropole.
Horaires : @ Cinéma Beaubien – Cinéma du Parc – Cineplex
CLASSEMENT
Interdit aux moins de 13 ans
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes] – LES COTES REFLÈTENT UNIQUEMENT L’AVIS DES SIGNATAIRES.
2024 © SÉQUENCES - La revue de cinéma - Tous droits réservés.