12 mars 2017
Allons tout de go : le 375e anniversaire de la ville de Montréal commence magistralement avec un objet rarissime dans le monde moderne de l’opéra, Another Brick in the Wall, d’après The Wall écrit en 1979 et dont on se souvriendra de la surréaliste adaptation cinématographique d’Alan Parker, Pink Floyd: The Wall (1982). Car le British Cinema des années 80 est également présent, en filigrane que les cinéphiles voudront découvrir, surtout au niveau des décors et des dispositifs vidéo.
Pour un monde qui non seulement n’a pas changé, mais a empiré, une proposition tenant sur les murs qui nous séparent aura convaincu Roger Waters (hommage debout de plusieurs minutes avant et après le spectacle) du bien-fondé de l’entreprise. Une entreprise qui a rapport avec l’idée que l’on se fait du spectacle sur scène et qui, de plus en plus, convoquent des disciplines comme le chant, la danse, la musique bien sûr, mais en ce qui nous cocerne, le cinéma surtout.
Justement, jamais cinéma, opéra, concerts pop et espace scénique « live » ne furent aussi proches que dans ce chef-d’œuvre à devenir culte. Ceux qui s’attendent à version pur rock seront face à « autre choses » mais se trouveront devant un travail d’orfèvre accompli, libre, totalement assumé, livrant des paroles et des gestes démocratiques à un monde de plus en plus cruel et totalitaire.
Mais pour achever un tel niveau de perfection, le connaisseur reconnaîtra que dans l’art de la création la notion de démocratie, du moins comme nous la concevons aujour’hui, ne peut exister. L’artiste, le critique, le créateur travaille dans la solitude pour créer. Ceux et celles qui l’accompagneront seront des collaborateurs, chacun apportant son expertise.
Ce qui frappe de plein fouet, c’est l’intense jeu d’éclairages, un retour aux sources-concerts de la formation ; c’est jouissivement aveuglant, anarchique, paralysant. Aucun bruit dans la salle. Le rituel est religieux, mystique. Et pourtant, la musique minimaliste du génial Julien Bilodeau qui convoque, entre autres, Satie, Stravinsky, Boulez, Glass et d’autres qui nous échappent, atteint un niveau de perfection proche de la théraphie de groupe. C’est intense, coloré, sensuel, enrichissant, voire même hyper-sexy.
Musique à laquelle les voix concordantes et intentionnellement désordonnées (it’s after all, a rock opera, sort of) d’Étienne Dupuis, France Bellemare, Jean Michel Richer (voir aussi générique à la fin) s’éparpillent sur scène et virtuellement dans la salle. À l’arrière, à deux ou trois rangs de la dernière rangée, la scène devient un terrain de luttes, de bataille, de musiques, de gestes anarchiques.
Mais le cinéma, par le biais de la vidéo, habilite Johnny Ranger dans une perspective d’harmonisation. Le monde actuel circule et navigue, la femme tient un rôle important, c’est volontairement sexuel, invitant, surréaliste, hétéro, saphique (homo, à moins que je ne me trompe, absent), digne d’une époque incontrôlable.
Et puis Dominic Champagne, livrant une soumission prête aux experts et au grand public. Le travail d’équipe, irréprochable, se permet une mise en abyme avec le cinéma et le public. Les silences religieux dans une salle pleine à craquer ne sont interrompus qu’à la fin des deux parties. Respect, conciliation, fin des frontières, thèmes, sous-thèmes. Bordel sans gêne. Il s’agit de tout et de rien. C’est au diapason d’un monde actuel. Je vous laisse le soin de lire le message final, d’une actualité poignante, livrant à notre Humanité un exemple touchant de réconciliation laïque où tous et toutes ne forment plus qu’un.
Les incontournables Roger Waters, Dominic Champagne et son équipe transforment cette Première mondiale québécoise en un chef-d’œuvre lumineux et transcendant, joignant le rang des Robert Lepage. À voir absolument !
ANOTHER BRICK IN THE WALL | Musique : Roger Waters – Paroles : Roger Waters – Version lyrique : Julien Bilodeau – Mise en scène : Dominic Champagne – Conception scénique : Dominic Champagne – Décors : Stéphane Roy – Costumes : Marie-Chantale Vaillancourt – Éclairages : Étienne Boucher – Conception vidéo : Johnny Ranger – Distribution : Étienne Dupuis (Pink), France Bellemare (la mère), Jean-Michel Richer (le père), Caroline Bleau (la femme), Stéphanie Pothier (Vera Lynch), Dominic Lorange (le professeur), Geoffroy Salvas (le procureur, le médecin), Marcel Beaulieu (le juge) – Chorégraphie : Geneviève Dorion-Coupal – Orchestration numérique/Son : Louis Dufort – Direction musicale : Alain Trudel / Orchestre Métropolitain, Chœur de l’Opéra de Montréal – Production : Productions Opéra Concept M.P./ Cincinnati Opera Association | Durée : 2 h (incl. 1 entracte) – Représentations : Jusqu’au 27 mars 2017 / 19 h 30 – Opéra de Montréal à la Place des Arts (Salle Wilfrid-Pelletier)
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