20 mars 2017
Mais souvent pervers, avilissant, sanglant. Des quatre pièces de théâtre d’Albert Camus, écrites entre 1938 et 1949, la première, Caligula, annonce déjà sa démarche philosophique d’un monde obsédé par le néant. Dans son Algérie natale, c’est le pouvoir colonial d’un monde impérialiste, à la fois romantique et faussement civilisateur,métaphore Caligula, dont les meurtres insensés ne sont que le symbole des gouvernements qui dominent les individus pour l’asservir.
Camus est essayiste et aussi philosophe de la mémoire et de la dépression. Dans le regard de René Richard Cyr, autre monument théâtral québécois, cette même réflexion parcours sa mise en scène, grâce à un Benoît McGinnis exceptionnel, souverain, triomphale, parcourant la scène comme un enfant sauvage.
Cette fois-ci, la scénographie se veut grandiose, un peu trop même, attirant le regard, souvent voyeur, pour se l’accaparer. À un moment, le titre de la pièce et le nom de l’auteur paraissent dans des lettres immenses, comme dans un générique de film, nous rappelant que nous sommes encore au théâtre, et sommes priés d’y demeurer. Pour une des rares fois, les spectateurs souffrent, rient parfois jaune, comme dans les tragédies, complices d’un texte qui réclame sa rédemption à chaque instant.
Inceste, homosexualité non partagée, crimes, défenseur d’une liberté individuelle qui se basent sur une haine de la société telle qu’elle est. Et derrière ce corps, ce visage et ce cerveau, un empereur aux prises avec ses démons intérieurs, souffrant en quelque sorte de la même frénésie existentiel de son auteur, un Camus défiant la morale de son temps, tel un démon aux prises avec ses proies, une société soumise.
La Rome antique ou le déclin de la cilisation. Écho qui se répercute dans l’aujourd’hui, à moins d’être les témoins, pour certains, privilégiés, d’une humanité égoïste, sans émotion et celle par qui les grands scandales sociopolitiques et individuels arrivent. Parce qu’elle les moins intelligents régner.
Caligula, autant la pièce de Camus que la mise en scène de Cyr, est négative… mais édifiante, cruelle… mais objective. Et en fin de compte, un portrait de notre monde qui ne sait plus où il se dirige. Puisque le théâtre de l’absurde prend ici des dimensions gigantesques qui ont pour mission de donner une vision particulière du monde, annonçant en quelque sorte ses futures victoires, ses défaites, ses trahisons et la peur de l’autre. L’existentialisme prend alors sa signification la plus intense, ramenant l’individu à interroger sa condition, mais en même temps devenant la victime de sa propre destinée, celle que lui procure son temps.
La vision du metteur en scène est revendicatrice et dans le même temps porteuse d’espoirs, à condition de prendre la peine de voir de près, et de contempler le caractère religieux du monde remplacé par à un athéisme humaniste.
Auteur : Albert Camus – Adaptation/Mise en scène : René Richard Cyr – Scénographie : Pierre-Étienne Colas – Costumes : Mérédith Caron – Éclairages : Erwann Bernard – Musique : Michel Smith – Distribution : Chantal Baril, Éric Bruneau, Louise Cardinal, Normand Carrière, Jean-Pierre Chartrand, Sébastien Dodge, Benoît Drouin-Germain, Milène Leclerc, Jean-Philippe Lehoux, Macha Limonchik, Benoît McGinnis (Caligula), Étienne Pilon, Denis Roy, Rebecca Vachon – Production : Théâtre du Nouveau Monde| Durée : 1 h 45 approx. (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 12 avril 2017 – TNM.
MISE AUX POINTS
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