21 avril 2017
C’est la première fois que nous rencontrons Maryanne Zéhil. Femme charmante, courageuse, éprise de son métier, sans peur devant les critiques peu élogieuses. Mais surtout prête à répondre à nos questions, pour constater si nous avons vraiment vu son film. Face-à-face fertile avec une passionnée du 7e art.
Peut-être bien qu’après tout, pour vous, le cinéma est un outil idéal pour faire propager vos réflexions sur le monde, la vie, l’humain !
Bien entendu, c’est tout à fait vrai. Mais au départ, il y a quelque chose que je veux exprimer, qui se trouve dans mon for intérieur ; et j’emprunte le médium qu’est le cinéma, et qui est devenu pour moi une raison d’être, pour y parvenir. Je suis consciente que c’est une cheminement difficile à suivre, mais le feu en vaut la chandelle. Le financement, la production, ce sont des enjeux économiques le plus souvent insurmontables. Les cinéastes vivent constamment avec ce problème, mais l’amour du métier et encore plus fort. En fait, si je n’avais pas un propos aussi fou qui me rongeait de l’intérieur, je n’aurais pas pu réaliser le film dans sa forme intégrale.
Votre film couvre deux univers parallèles, d’un pays à l’autre, d’un milieu social à l’autre. Est-ce un cheminement personnel ou issu de maintes observations.
Cela tient beaucoup plus d’observations que de touches personnelles. Cependant, je ne vois pas de parallélisme entre les deux récits, du fait même que j’ai quitté le Liban il y a de cela une vingtaime d’années. En vérité, je voulais raconter l’histoire de deux femmes qui tiennent plus de l’émotion, de mes observations autour de moi.
Cela tient aussi de votre parcours académique.
Effectivement. Au liban, j’ai suivi les cours de l’ALBA (Académie libanaise des beaux-arts). J’ai dû quitter le pays à cause de la guerre, mais un concours de circonstances a fait qu’au cours des années, j’étais tiraillée entre mon pays d’origine, la France et le Québec. Pour la télévision française, j’ai réalisé plusieurs documentaires, mais au fond, je savais très bien qu’ultimement, j’allais faire du cinéma.
Dans L’autres côté de novembre, les mœurs masculines, au Liban, sont présentés dans toutes leur liberté d’expression, même si cela implique des actes de trangression.
Je vous crois, c’est une des caractéristiques de cette partie du monde. Un acte de transgression que j’ose montrer.
Vous prenez sans doute un énorme risque.
Oui, bien sûr, et c’est un risque assumé. Et je suis certaine que les spectateurs seront contents de le constater. La plupart des gens sont incapables de s’exprimer ainsi. Il y a, bien entendu, les contraintes morales, religieuses, sociales, le qu’on-dira-t’on. Des tabous que le cinéma ne peut pas se permettre d’éviter.
Mais vous montrer aussi une génération de femmes, dans la partie au Liban, qui préfère cacher les choses.
Les contraintes sont différentes entre Chrétiens et Musulmans, mais n’empêche que ça relève essentiellement de l’ordre économique, de l’échelle sociale et du niveau d’éducation. Nous avons souvent tendance à croire que c’est une question de religion, alors que c’est au niveau humain et intime que ça se passe. Lorsqu’une communauté est menacée, elle se renferme dans la religion. C’est le cas de tous les pays du Moyen-Orient, y compris en quelque sorte, en Israël, plus proche des modèles occidentaux.
Le premier plan, en contre-plongée, est une image d’église qui occupe le paysage, comme si une menace l’attendait.
On pourrait penser cela puisque c’est vrai, mais ma véritable intention était de situer un lieu et une réalité sociale et identitaire d’une certaine époque.
Le choix des comédiens s’imposent de par les lieux où vous filmez. Les interprètes québécois y compris, dû au financement du Québec, je suppose.
En fait, je n’ai pas eu de financement ni de Téléfilm Canada, ni de la SODEC. Pour l’instant, mes films ne sont pas subventionnés. Mais il faut montrer que nous sommes après tout au Québec et que le film doit avoir un passeport ; cela va de soi. Le plus important, c’est aussi de montrer que les étrangers qui ont décidé de voir le Québec comme un deuxième patrie, disons même une nouvelle patrie, doivent montrer cette caractéristique.
En fait, malgré un exil intérieur qui ne peut nous échapper, il faut garder des ondes positives pour mieux créer.
C’est tout à fait vrai. C’est la façon de procéder et de s’intégrer dans une sorte de quasi-totalité, tout en conservant ses propres racines.
Et pourtant, force est de souligner que l’intégration ne se fait pas sans lacunes, ni heurts.
Depuis que je suis ici, je n’ai pas vu beaucoup de changements, mais j’observe que certains ont lieu, même de façon fugitive et souvent incidentelle. Je crois que les nouvelles générations n’auront plus le choix que de proposer un nouvelle québécitude ouverte à tous les possibles.
Les scénariste, les réalisateurs et les producteurs doivent en être conscients.
Bien entendu, c’est par eux que les changements se réalisent. C’est un défi de taille, mais je le dis de nouveau, le feu en vaut la chandelle.
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