30 avril 2017
Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Carl Perkins, Johnny Cash et Sam Phillips, leur père artistique adoptif, celui qui va donner naissance aux succès de ces grands du rockn’ roll. Une journée du 4 décembre 1956 au célèbre Sun Records de Memphis où le paternel de substitution réinvente en quelque sorte l’histoire de la musique pop. James Loye incarne ce personnage d’une Amérique capitaliste où les bonnes idées mènent loin, même si on doit composer souvent avec des coups bas. C’est la loi de la jungle où il est difficile de concilier profit immédiat, amitié et sincère élan d’humanité. Ces caractéristiques de tout individu normal, Loye les déploie remarquablement, inventant un personnage d’un charisme impérial. C’est l’une des plus belles performances de la soirée, même si l’ensemble, y compris le band endiablé, sont tous exceptionnels.
Ce sont les années d’après-guerre où les traumatismes du conflit mondial doivent être oubliés par le pouvoir indestructible de la création. Une nouvelle Amérique se forme, fière d’avoir vaincu les forces ennemies et de donner la liberté à une vieille Europe quasi détruite.
C’est de cela que parle Million Dollar Quartet, sans vraiment l’évoquer, en filigrane ; on le devine derrière chacun des personnages extraordinaires de cette comédie musicale époustouflante où les hits de l’heure ou en devenir fusent de partout.
Dans la grande salle du Centre Segal, quand même intime en comparaison à la Place des Arts où le spectacle sera présenté du 17 au 21 mai 2017, assis au premier rang, l’enthousiasme est déchirant. On a la chair de poule. Lorsque le Johnny Cash incarné exécute I Walk the Line, nous avons presque les larmes aux yeux. Devant moi, Sky Seals, pas loin de le ressembler, s’intègre au personnage avec une candeur, une force, une énergie de tous les instants. C’est magique. On se rend alors compte que dans l’art de la performance, la transcendance et l’état de grâce existent vraiment.
Et les autres, le jeune Elvis Presley, magnifiquement gesticulé par George Krissa, accompagné de sa petite copine Dyanne, dont Sara Diamond compose une de ses belles de l’Amérique profonde qui a compris que les choses vont changer. Ses Fever et I Hear You Knocking sont d’une sexualité aussi attachante qu’invitante.
Et puis Carl Perkins, auquel un Edward Murphy totalement motivé rend hommage avec des tunes comme Who Do You Love et See You Later Alligator, des chansons qui resteront dans la mémoire. Et finalement, grande surprise de la soirée, Jerry Lee Lewis et ses gestuelles aphrodisiaques, sensuelles, sans-gêne, face à son piano comme s’il s’agissait d’un espace scénique à lui-même ; emporté, proche du légendaire. Et puis, oui, comme on s’y attend… il chante son légendaire Great balls of fire sous les applaudissement ininterrompus d’une salle comble éblouie. L’incarnation est celle du grand Christo Graham. Une seule chose à dire de lui : parfait.
Lisa Rubin, également directrice générale du Segal, a mis en scène une des plus brillantes comédies musicales où la légereté du propos cache admirablement les motifs sociaux et politiques d’une grande nation complexe, délurée, qu’on aime et qu’on déteste, cette Amérique insolite où se réalisent parfois les rêves les plus fous. Et c’est dans un décor de studio d’enregistrement que se vit un moment de l’histoire de la musique. Décors brillants et intelligent de Brian Dudkiewicz qui se marient admirablement bien aux costumes de Louise Bourret et aux éclairage appropriés d’Itai Erdal.
Il faut le voir pour le croire. La nostalgie n’a jamais été aussi décapante et les disparités intergénérationnelles si tendrement brisées. Belle leçon d’éthique à une époque actuelle où les divisions sociales et territoriales ont atteint un niveau extrême d’absurdité. Million Dollar Quartet est électrisant, magnétique, superbement chorégraphié, politiquement incorrect. À ne rater sous aucun prétexte. C’est un ordre.
MILLION DOLLAR QUARTET
Livret : Colin Escott, Floyd Mutrux – Concept original : Floyd Mutrux – Mise en scène : Lisa Rubin – Scénographie : Brian Dudkiewicz – Costumes : Louise Bourrett – Éclairages : Itai Erdal – Direction musicale : David Terriault – Son : Steve Marsh – Distribution : George Krissa (Elvis Presley), Christo Graham (Jerry Lee Lewis), Edward Murphy (Carl Perkins), Sky Seals (Johnny Cash), James Loye (Sam Philipps), Sara Diamond (Dyanne) – Production : Segal Centre | Durée : 1 h 45 approx. (sans entracte) – Représentations : Jusqu’au 14 mai 2017 – Centre Segal / Du 17 au 21 mai – Place des Arts (Cinquième salle).
MISE AUX POINTS
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★ Mauvais. ½ [Entre-deux-cotes]
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